9 Juillet 2022
Après avoir lu les deux plus récents ouvrages d'Isabelle Mutin, j'ai décidé d'entreprendre un voyage dans le passé et de retourner un peu plus de dix ans en arrière pour lire la première publication de cette auteure, qui se trouve être un recueil mêlant nouvelles et poésie et dont la thématique comme le suggère fortement le titre DeSirium Tremens est le désir. Et plus précisément, il s'agit ici d'un certain type de désir féminin et des extrémités auxquelles il conduit lorsqu'il est inassouvi. Chaque nouvelle ou poème se construit autour d'un vide, d'un manque, auquel seule l'union sexuelle avec un homme espéré pourra répondre, au moins temporairement. Au-delà d'union, il s'agit en réalité de fusion des corps et des fluides, dans une boulimie à la démesure du manque, dans une animalité instinctive qui fait tomber les masques des convenances.
Ce vide est structurel. Entre les lignes se devine une blessure fondamentale, qui touche au sacré, comme une déchéance d'ange porteur de lumière émeraude, comme Adam et Ève chassés du paradis terrestre. Celle de la femme "esclave de ses pulsions" qui s'adresse à l'homme à la première personne en lui demandant de lui faire revivre son âge d'or par l'énergie sexuelle, dans un corps à corps perdu d'avance puisque celle-ci est Insatiable - ce poème à l'énergie érotique incontestable!, dans un corps-à-corps qui élève à un âme-à-âme. Quelle est cette part de divin auquel la narratrice voudrait accéder par l'intermédiaire d'un autre corps ? Est-ce l'intuition du tantrisme derrière cette énergie vibrante disposée au coeur des mots, ou bien est-ce celle d'un purgatoire ? Le recueil oscille entre délice du Tantra et supplice de Tantale. Ce supplice du manque qui finit par envahir l'esprit et prendre les commandes du corps, qui se fait crise avec tremblements à l'orle de la folie. Le sexe comme un alcool bu directement au goulot, parfois de la première bouteille venue, pour retrouver le sens de l'existence à travers l'existence des sens. "Remplis-moi, je me sens exister." Le manque parfois savamment entretenu pour alimenter l'explosion de la délivrance. Et tous les chemins sont bons pour cette narratrice "recto-verso" et "avide terre d'accueil" qui ne connaît "aucun sens interdit".
Est-il possible d'atteindre la transcendance par le don total de soi dans l'union sexuelle ? Le titre même, DeSirium Tremens, laisse entendre que cette approche relève plutôt d'une pathologie semblable à l'alcoolisme et est de ce fait vouée à l'échec. Serge Gainsbourg lui-même, qui était expert en sexe et en alcool, prétendait que "l'amour physique est sans issue", mais c'était un cynique. Ce recueil empreint d'une certaine désespérance ne le contredira toutefois pas. Il n'empêche qu'il existe, pour celles et ceux qui ont eu le privilège de la connaître, l'extase du sexe fusionnel et - Dieu que c'est bon! ce recueil est là pour en convoquer le souvenir ou nous en redonner envie par résonance! En ce qui me concerne, le serpent kundalini m'a toujours largement plus fait de l'oeil que celui d'Adam et Ève, c'est pourquoi, à mon sens - ou à mes sens ? - les mots d'Isabelle Mutin donnent envie et font sentir en vie.
DESIRIUM TREMENS d'Isabelle Mutin - Les Editions Mutine
LIVRE BROCHE - 105 PAGES - PRIX : 12€ - NOUVELLES Porte-douleur de tous les êtres en souffrance rencontrés dans les couloirs des hôpitaux ou femme de l'osmose totale, de l'absolu chez l'être ...