8 Juillet 2024
Pratiquement 30.000 exemplaires vendus du premier recueil d'Arthur Teboul intitulé Le Déversoir, en un peu plus d'un an, c'est semble-t-il un record en France depuis bien longtemps. Le fait est qu'il a bien circulé dans la presse et sur les réseaux sociaux. A telle enseigne que je me suis décidé à suivre le mouvement, malgré mes a priori.
Car oui, j'avais de sérieux a priori vis-à-vis d'Arthur Teboul. Des a priori qui remontent à une soirée du 14 octobre 2014, à la salle Poirel de Nancy, où nous étions allés avec mon ex-compagne voir et surtout écouter le magnifique Hugh Coltman entamer une reconversion de la pop vers le jazz, dans les pas de Nat King Cole, dans l'écrin du festival Nancy Jazz Pulsations. Un authentique moment suspendu, empli de cette poésie pratiquement indéfinissable, qui tient dans le timbre fragile d'une voix capable de traverser l'acier du quotidien, dans la complicité avec des musiciens qui savent jouer tout en retenue, mais aussi lâcher les chevaux, quand il le faut, dans une complicité qui s'établit avec le public par le charisme un peu anti-héros d'un ancien chanteur de pop qui tente l'aventure jazz sans être tout à fait sûr de sa légitimité. Tout était si juste ! Et son tour de chant a été accueilli par des applaudissements à tout rompre. Mais la soirée ne faisait que commencer. Juste après, le NJP accueillait dans la même salle un groupe à peine sorti de l'émergence et de l'adolescence, qui avait le vent dans ses voiles estampillées France Inter: Feu ! Chatterton, porté par son premier hit Fou à lier. Le temps d'un changement de plateau de quelques minutes où cet état de grâce persiste, et le concert commence.
Constat immédiat, ça joue vraiment mal, le contraste avec le concert d'avant fait mal ! Je dois quand même dire que je connais un bon nombre de groupes amateurs qui assurent bien mieux. Les paroles sont à peu près incompréhensibles tant Arthur Teboul mange les mots. Quand commence le troisième morceau, c'en est trop. Nous nous regardons mon ex-femme et moi, la consternation ayant pris le pas sur la surprise: "On s'en va ?" - "Oui, j'allais te le proposer". Nous sommes partis, soulagés de laisser cette soupe musicale derrière nous, non sans avoir pu échanger quelques mots avec un Hugh Coltman abordable, humble et adorable. Quelques recherches Internet rapides sur ce groupe m'ont appris qu'il était encensé par la presse. Mais une réécoute de Fou à lier n'y a rien changé, je suis resté sur ma première impression. Etais-je à ce point à côté de la plaque ? Je ne peux pas nier mon ressenti, toutefois les retours de la presse étaient dithyrambiques. J'ai donc rangé Feu ! Chatterton dans le grand sac des groupes à la mode, overhypés mais voués à disparaître très rapidement une fois le budget presse épuisé. L'affaire était alors pour moi complètement entendue.
De loin en loin, j'entendais des nouvelles d'Arthur Teboul. J'entendais parler de son amour de la poésie, de son talent. Je l'ai même croisé avec son groupe au Printemps de Bourges en 2018, où j'ai eu l'opportunité de discuter assez longuement avec le guitariste qui m'a parlé de la vie de tournée. Très chouette rencontre qui a participé à rendre l'affaire un peu plus humaine et touchante. Mais pas suffisamment pour me donner envie de regoûter à leur musique.
Après cette longue anecdote en guise d'introduction, nous voici donc en 2024. J'ai acheté Le Déversoir publié en mars 2023 aux éditions Seghers sur une pure impulsion, passant outre mes gros a priori. Et je découvre des textes bruts, où la musique n'interfère pas avec les sensations apportées par les mots. Dès les premières pages, la démarche poétique est clairement présentée, justifiée. Arthur Teboul qui s'est pris de passion pour la poésie à 15 ans, s'inscrit dans ce recueil dans les pas des surréalistes d'André Breton, avec cette proposition de s'installer dans un état de réceptivité qui n'est plus de la conscience d'éveil, et de noter ce qui vient, sans jugement, sans tenter d'y mettre le moindre ordre, en écriture automatique. L'espace de cinq minutes est alors suffisant pour qu'un texte émerge ex nihilo et c'est ainsi que les 105 poèmes minute qui composent ce recueil sont nés. De la poésie sans filets. La démarche n'est absolument pas nouvelle, elle se pratique couramment en atelier d'écriture, mais elle est osée. Parce qu'il n'est pas évident d'accepter sans retouche ce qui sort ainsi. Parce qu'il y a de l'intime dans le fait d'exposer des ébauches, imparfaites selon le cerveau contrôlant, ou au contraire parfaites si l'étalon est la spontanéité. Il y a quelque chose de jazzistique dans le fait de publier des textes one shot, ce qui est normalement l'apanage des virtuoses. Et c'est peut-être là que nous n'y sommes pas encore. Autant certains textes confinent à la grâce, autant d'autres textes ne décollent pas. Arthur Teboul est musicien est cela s'entend dans la rythmique et la musique des mots qui s'enchaînent. Mais le tout m'apparaît très inégal. Bien entendu, cette opinion ne regarde que moi, en matière de poésie, la subjectivité plus qu'ailleurs règne. Me concernant, j'attends plus de la poésie qu'un exutoire qui confine à l'écriture thérapeutique. J'attends qu'elle dépasse celui ou celle qui l'écrit. J'attends des fulgurances, de l'universel et de l'intemporel, de la transcendance. J'attends d'être pris par surprise. L'écriture d'Arthur Teboul est encore un peu trop verte ou trop adolescente à mon goût mais il y a quand même de belles phrases (notamment cet hommage très réussi à Christian Bobin), et certains aphorismes percutants.
Même si j'en respecte la démarche, mes goûts personnels vont donc vers d'autres sensibilités, et c'est peut-être pour cela que je suis passé à côté de Feu ! Chatterton. Pour autant, un tel succès de librairie en rayon poésie me donne de l'espoir. Même si les fans du groupe ont probablement largement contribué à ces belles ventes, je suis persuadé que le recueil a touché un autre public et il y a pour moi quelque chose de rassurant dans le fait de savoir que la poésie peut redevenir populaire, comme Rupi Kaur et Cécile Coulon l'ont déjà prouvé. Si Arthur Teboul a ainsi réussi à ouvrir un nouveau public à la poésie, alors c'est que la démarche en valait vraiment la peine.