2 Avril 2024
"Le vol magique des étourneaux, seconds violons du ciel. Quand ils rencontrent un obstacle - comme d'un roc qui dépasse d'une rivière -, ils scindent en deux cette masse de grâce sans se heurter, vite recomposent leur amitié après le franchissement de l'épreuve. Cette passe s'appelle Le Murmure."
Le murmure est le dernier recueil écrit par Christian Bobin. Commencée chez lui, au Creusot, en juillet 2022, alors qu'il ignorait encore tout de la maladie-éclair qui allait le terrasser le 23 novembre de cette même année, cette oeuvre testamentaire se termine dictée à sa femme Lydie Dattas - son double de sculpture des mots - depuis un lit d'hôpital à Chalon-sur-Saône. Christian Bobin aura ainsi écrit jusqu'à quelques jours avant sa mort, prenant possession de la main de sa compagne - un esprit incorporé à sa médium - lui-même médium possédé par l'esprit de l'Absolu. Une dernière cascade poétique, un feu nourri de l'Amour, un recueil d'extimité à quatre mains dont il nous est offert de prendre un bain de sa lumière. L'écriture est dense, l'écriture est danse, tango, paso doble, animale et animée, car elle prépare au murmure intime, à cette mort annoncée qui séparera temporairement bientôt ces deux âmes soeurs.
Crédits: Biosmostion
On pourra dire de Christian Bobin qu'il est mort sur scène, sans toutefois jamais avoir été le moins du monde en représentation. Et c'est une émotion particulière de savoir le poète sous l'emprise grandissante de la maladie au fur et à mesure des pages, et un émerveillement de constater que l'espace entre les mots s'épaissit de mystère et d'amour. Se rendre compte que la maladie n'a pas le moins du monde amenuisé sa connexion privée avec les muses. Que contemplant le temps qu'il lui reste, il le prendra d'autant plus jusqu'au bout, parce qu'aucune peur de la mort ne transparaît et parce que ce ne sont pas les secondes qui comptent mais "l'essence éternelle du coeur, de la substance veineuse, ramifiée, colorée des rêves". Pour lui, les affaires courantes, "c'est la queue du diable qui prend feu". Alors autant aller à l'essentiel.
"Je n'ai que mon coeur pour traverser la vie, rien d'autre que cette valise de réfugié en cuir rouge cadenassée à la naissance." Christian Bobin est un poète parmi les poètes, celui dont sa compagne dit de lui qu'elle a vécu avec un ange. Celui qui définit son activité comme la réflexion "sur ce qu'est un sourire, un vrai sourire". Celui qui jusqu'au bout restera fasciné par les silences entre chacune des notes de piano jouée par Dmitry Sokolov reprenant Chopin. Il est celui pour qui "l'écriture est un linge frais tendu sur un fil d'encre". Absolue comme la nécessité pour Fabienne Verdier d'insuffler la vie elle aussi dans de simple segments d'encre. N'écrit-il pas "J'écris un livre de guerre. Pas pour faire des morts, mais pour faire des vivants" ? Cette poésie est de celles qui sauvent, qui animent, c'est une expérience spirituelle, qui touche à un "invisible [qui] est riche à ne plus savoir quoi faire de ses lumières".
Le murmure est de fait incontournable. Avec elle, Christian Bobin laisse une oeuvre maîtresse en héritage, désormais encore plus intouchable qu'auparavant.
Le murmure appartient à ces œuvres extrêmes écrites dans des conditions extrêmes. Dans ce livre ultime, le plus humain des poètes se révèle être aussi le plus héroïque. À l'hôpital, ce...
https://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/Blanche/Le-murmure