Laurence Lucas Skalli - Les états de conscience aux frontières de la mort - Regards croisés

C'est un exercice que j'apprécie tout particulièrement quand plusieurs spécialistes abordent le même sujet depuis des coeurs de compétence différents, et parfois avec des avis divergents. Evidemment, quand le thème central de cet exercice tourne autour des expériences de mort imminente et des états modifiés de conscience, je suis d'autant plus intéressé. Fin 2020, tandis que les confinements dus au COVID se succèdent, la psychiatre Laurence Lucas Skalli, présidente du fonds Conscience Sans Frontières, se met en tête d'organiser le premier colloque en virtuel, en réunissant des spécialistes de la question sept jours d'affilée, lors de rencontres modérées par elle-même, par la gériatre Sylvie Cafardy (auteure de l'essai Expériences de mort imminente) et par le journaliste Patrice Van Eersel. C'est une initiative audacieuse, mais elle va porter ses fruits. Ce qui devait n'être qu'un événement virtuel s'est finalement révélé si intéressant qu'un livre - les actes de ce colloque - en est ressorti, publié en novembre 2023 aux éditions David Reinharc, qui s'intitule Les états de conscience aux frontières de la mort - Regards croisés.

Chacune des tables rondes avait sa propre thématique et plusieurs invités:

1. Les expériences de mort imminente et les états de conscience modifiée, que nous apprennent-ils ?
   Avec le directeur de l'époque du COMA Science Group, le professeur Steven Laureys, le philosophe et directeur de recherche au CNRS, Michel Bitbol, la réalisatrice et auteure Sonia Barkallah, et un poète, Bernard Gabay.
2. Les états de conscience modifiée, usages prometteurs en clinique
   Avec la psychiatre Amine Benyamina, le médecin spécialiste de la douleur Jacques Wrobel, le gériatre Marc Cohen, et l'auteure et expérienceuse Fabienne Raoul.
3. Nous sommes tellement vivants jusqu'au bout
   Avec l'art-thérapeute et clown en soins palliatifs Sandra Meunier, l'écrivain et cinéaste Alexandre Jardin, et le médecin essayiste, décédé depuis, Axel Kahn.
4. La médecine et la société face aux EMI et à la fin de vie
   Avec la psychologue clinicienne et essayiste Marie de Hennezel, le psychiatre et professeur Philippe Gutton, l'expérienceur Antoine Boccador et le philosophe et professeur d'éthique médicale Emmanuel Hirsch.
5. Conscience et frontière de la mort
   Avec le physicien, philosophe des science et essayiste Étienne Klein, le cancérologue et président de l'Institut Rafaël Alain Toledano, le médecin urgentiste Thierry Duclos, et la psychologue Tineke Rae-Einthoven.
6. Recherches et controverser sur les EMI
   Avec la neuropsychologue et spécialiste des EMI Charlotte Martial, l'historien et directeur de recherche au CNRS Denis Pechanski, le docteur en science et symboliste Luc Bigé et le physicien, conférencier et auteur Emmanuel Ransford.
7. Place à l'expérience !
   Avec président de l'Institut Monroe, Scott Taylor

En réalité, il n'était pas tout à fait question de débats entre les invité.e.s pour cet événement mais plutôt de conférences ou d'interviews enchaînées, ce qui laissait le temps à chacun.e de présenter ses points de vue sur le thème de la soirée. Et la valeur ajoutée d'une telle approche réside dans le mix des invité.e.s et dans leurs qualités individuelles. Je trouve particulièrement enrichissant et intellectuellement stimulant qu'un même sujet soit abordé à travers des prismes aussi différents !

Parmi les phrases qui ont été dites, j'ai noté celle de Philippe Gutton à propos de la fin de vie: "Il se dégage cette question d'être au moment où nous commençons à perdre nos capacités d'avoir. [...] La crise de l'avoir provoque bien entendu un déploiement de la question de l'être". S'il y a une vertu à la vieillesse et à la déchéance physique qui l'accompagne, c'est bien celle-ci ! J'ai aussi beaucoup aimé l'intervention d'Étienne Klein à propos du paradoxe de la mort qui est d'être un phénomène à la fois universel et singulier, même s'il n'a pas pris le risque de s'aventurer trop loin sur le terrain des EMI. Et cette intervention nécessaire de Michel Bitbol qui recommande d'envisager une EMI avant toute chose sous l'angle phénoménologique et avec les outils de la phénoménologie, ce qui n'a malheureusement pas trop été exploré jusqu'à présent. Enfin, Sandra Meunier que j'ai eu la surprise de découvrir dans ce cycle de tables rondes pour ses interventions en tant que fée dans les chambres de soins palliatifs et qui, à travers son personnage et son orientation vers la joie, fait tomber des barrières d'une vie.

Tous les invité.e.s avaient vraiment quelque chose d'unique à apporter et je crois que c'est précisément cela qu'il faut encourager: la mise en commun de savoirs et de connaissances, au-delà de la science seule, la transdisciplinarité, parce qu'elle est stimulante et potentiellement féconde. Et d'ailleurs, l'unique conférence qui m'a un peu moins intéressé est celle de Scott Taylor, précisément parce qu'elle n'avait pas de contradicteur malgré un positionnement très engagé dans le sens de la réalité objective des perceptions qui surviennent lors des EMI et qui aurait mérité d'autant plus que des représentant.e.s des autres interprétations soient présent.e.s. Une conférence à sens unique qui a contrasté avec la richesse des regards croisés des autres tables rondes.

J'applaudis donc à cette initiative de Laurence Lucas Skalli qui a marqué les débuts du fonds Conscience Sans Frontière qui a pour vocation d'encourager la recherche sur l'accompagnement de fin de vie, sur les questions d'éthique qui y sont liées, et sur les EMI.