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TélescoPages

Un espace dédié à la musique, à la littérature, à la science, à la conscience, et au-delà

Sylvie Cafardy - Expériences de mort imminente

Depuis le livre de Raymond MoodyLa vie après la vie, paru en 1975, beaucoup de choses ont été dites et écrites sur les expériences de mort imminente (EMI) [voir également à ce sujet Et si cela vous arrivait ? de Sonia Barkallah]. Il faut dire que le nombre de témoignages n'a cessé d'augmenter et ce, pour plusieurs raisons. D'abord il y a les progrès techniques qui font qu'il est désormais possible de ramener des patients à la vie à un stade bien plus tardif qu'avant. Il y a aussi les techniques de réanimation qui sont de plus en plus maîtrisées non seulement par le personnel soignant, mais aussi par les services de secours et par les particuliers sensibilisés au secourisme. Et puis il y a aussi le fait que les EMI sont désormais acceptées comme de véritables expériences subjectives que plus aucun scientifique ou médecin n'oserait remettre aujourd'hui en question. Avec les années, le curseur a bougé et le consensus médical va dans le sens de visions hallucinatoires déclenchées par un cerveau en anoxie, c'est-à-dire en manque d'oxygène.

Pour autant, le mystère de ces expériences va augmentant. La première raison est qu'avec l'ampleur du phénomène et du nombre des témoignages, il est désormais possible d'étudier sérieusement, c'est-à-dire avec les outils et la méthode scientifique, les milliers de cas recensés et documentés pour en identifier des invariants, comme les étapes du ressenti subjectif de la personne en état d'agonie. Et en dépit de la diversité des personnes, des subjectivités et surtout des cultures des expérienceur.se.s, ces invariants sont nombreux. Forte des données et des statistiques, est née au début des années 1980 l'échelle de Greyson qui recense les étapes les plus courantes qui se produisent lors de ces expériences. L'étape de sortie hors du corps notamment interroge de plus en plus. Ne s'agirait-il pas tout simplement d'un exemple de conscience délocalisée qui remettrait en cause le modèle moniste matérialiste ?

L'histoire de l'étude des EMI inclut également différentes études rétrospectives, mais surtout une étude prospective qui avait fait grand bruit quand à l'orée du XXIème siècle, elle fut publiée dans The Lancet par l'équipe du cardiologue Pim Van Lommel. Elle montrait notamment que ces expériences étaient profondément transformatrices pour celles et ceux qui en conservaient le souvenir. Mais, en 2022, soit pratiquement un demi-siècle après la diffusion dans le grand public de l'ouvrage de référence de Raymond Moody, il semblerait que les progrès en la matière connaissent une phase plateau. Beaucoup d'ouvrages sont publiés sur la question qui revisitent l'histoire des EMIs. De nouvelles études sont publiées qui confirment les résultats des études précédentes. De nombreux témoignages d'EMI font l'objet de récits ou de films à la première personne. Beaucoup de redites, mais de nouveau, pratiquement rien.

Or, le livre Expériences de mort imminente de la médecin gériatre Sylvie Cafardy se démarque de la production habituelle. Même si les étapes de l'échelle de Greyson font l'objet d'un rappel historique, comme c'est un peu devenu la norme dans ce type d'ouvrages, d'une part, celui-ci repose sur un matériau personnel de six cas cliniques, celui-là même qui lui a servi pour présenter sa thèse de doctorat en 1999 (obtenue avec les félicitations du jury, Prix de thèse régional), d'autre part, l'angle d'analyse est celui de l'amélioration du vécu subjectif des patient.e.s en soins palliatifs. Le constat n'est pas tout à fait nouveau: partager les récits d'EMI avec les patients est source de soulagement. On le sait depuis les années 1960, tandis qu'Elisabeth Kubler-Ross organisait des conférences au sein des hôpitaux impliquant des personnes revenues de la mort qui témoignaient à la première personne.

Mais l'approche de Sylvie Cafardy va un peu plus loin. Il s'agit d'acter le fait que l'approche de la mort est une occasion majeure de résoudre des problèmes, des noeuds, consciencieusement ou inconsciemment évités tout au long d'une vie. Et en se basant sur les récits d'EMI, cette médecin a posé des hypothèses de travail qu'elle applique au sein de son équipe du Centre Hospitalier de Confolens où elle officie. Elle pose notamment qu'il ne s'agit pas d'expériences hallucinatoires, ce qui est l'hypothèse toujours réfutée par le consensus scientifique bien que les témoignages d'EMI corroborés par des personnes extérieures soient de plus en plus nombreux. Partant, elle considère que la mort est un passage vers un autre état et qu'il est important que les proches accompagnent ce départ, y compris lorsque le patient est inconscient, voire en état de coma, l'expérience montrant que même dans les états les plus bas dans l'échelle de Glasgow, les patients ont parfois une conscience de leur environnement immédiat (quand ils ne sont pas en sortie hors du corps). Il s'agit vraiment de les impliquer, de débarrasser les mourants des secrets de famille, de la colère d'une vie, de se réconcilier, de pardonner. Il s'agit également pour le personnel soignant de ne plus fuir les mourants pour fuir sa propre peur de la mort: un personnel qui accueille la mort sans peur est le meilleur accompagnateur possible. Que l'on croie à la réalité des EMI ou pas d'ailleurs.

Ce que j'ai tout particulièrement apprécié dans Expériences de mort imminente, ce sont les chapitres où est décrit l'accompagnement aux mourants et aux proches. Il en ressort tellement d'humanité et d'amour! C'est aussi du fait d'un retour d'expérience des EMI que cet accent est mis sur l'amour justement puisque ceux qui en reviennent voient leur système de valeurs chamboulé, le matériel passant derrière la bienveillance et l'amour du vivant. Les soignants seraient d'une certaine manière les alter ego des consciences qui accueillent les mourants de l'autre côté. En étant conscient que la mort est une opportunité, Sylvie Cafardy (tout comme Elisabeth Kübler-Ross en son temps) prêche pour prioriser la résolution des noeuds de vie avant de se résoudre à la sédation et à l'euthanasie, faisant confiance à la capacité des mourants à lâcher prise très rapidement une fois les tensions résolues. Et de relater plusieurs anecdotes dans ce sens. "Vouloir le forcer à prendre le large avant que ce processus ne soit terminé pourrait lui causer des préjudices dont nous ne pouvons imaginer la portée, puisque nous ne voyons rien au-delà de cet horizon. [...] Car ceux qui, tels des explorateurs, ont franchi cet horizon et en sont revenus nous ont appris que cette limite n'est qu'une illusion, que notre existence se poursuit au-delà, et que la façon dont notre vie et notre mort se sont déroulées a des conséquences." Que les erreurs du passé nous invitent à plus d'humilité quant à notre rapport à la connaissance! Les EMI sont une occasion de mettre à jour l'éthique des soins palliatifs et l'accompagnement aux mourants.

Le chapitre final est tout particulièrement éclairant car il s'agit des enseignements des EMI. Ces expériences universelles nous font prendre profondément conscience que nous ne sommes pas notre corps, qu'il ne faut pas craindre ou fuir la mort et au contraire l'accepter en se déchargeant des situations non réglées. Et surtout que la vie vaut d'être vécue dans l'amour et la bienveillance parce que tout a son importance!

Un livre que je recommande vivement donc.

Sylvie Cafardy - Expériences de mort imminente
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