23 Avril 2024
Combien de fois n'ai-je pas entendu que 2, 3 ou 4°C de plus ne changeraient pas grand chose à nos vies, qu'il ferait un temps de Côte d'Azur en Mer du Nord et voilà tout ? Mais il faut des scientifiques comme Aurélien Barrau et des ingénieurs comme Jean-Marc Jancovici s'emparent de la question pour expliquer encore et toujours avec le talent de vulgarisation et le charisme qui sont les leurs que ce n'est pas comme cela que ces nombres se comprennent. Déjà, il y a le fait que les océans se réchauffent moins vite que l'atmosphère. Non, dans un monde à 2°C degrés de plus, c'est-à-dire seulement 1°C de plus qu'actuellement, plusieurs zones terrestres deviendront tout simplement inhabitables. En France le nombre de nuits tropicales augmentera encore par rapport à ce qui existe déjà. Et ce sera évidemment bien pire à 4°C. Chaque degré compte. Pour la première fois en février 2024, l'institut Copernicus a établi que la moyenne des températures sur l'année écoulée était supérieure de 1.5°C aux températures de l'ère préindustrielle. Les objectifs des Accords de Paris en matière de climat (2°C maximum à l'horizon 2100) semblent se rapprocher bien plus vite qu'anticipé. Si les discours des scientifiques et des experts sur la nécessité de changer nos habitudes - et particulièrement celles qui concernent notre surconsommation d'à peu près tout - semblent relativement inaudibles face à la déferlante de nos mécanismes de résistance et de déni, c'est peut-être au tour de la culture de s'en mêler et de faire des contre-propositions ! C'est précisément à cette tâche que s'est attelé l'auteur et illustrateur Ulysse Gry dans cette bande dessinée intitulée Pour quelques degrés de plus publiée en mai 2023 chez Presque Lune.
L'originalité de cette bande dessinée tient dans le fait qu'elle met en parallèle direct trois scénarios du GIEC, qui ont lieu en 2100, l'année qui fait horizon aux prédictions de cette organisation qui regroupe des milliers de scientifiques. Le récit se décline donc en trois versions à chaque page ! Le contexte est posé sobrement mais efficacement dans la planche qui suit.
Le récit est centré sur un héros, Josh, et a pour décor le centre des Etats-Unis que les habitants du Texas particulièrement touché par le réchauffement climatique tentent de rejoindre pour y trouver une vie meilleure dans le scénario à 2°C. Dans le scénario à 3°C, le Groenland est devenu le paradis terrestre et a monté une armée pour empêcher les migrants du monde entier de venir s'y installer. Dans le scénario à 4°C, aucun territoire n'est épargné, les institutions et les frontières n'existent plus, et la vie est devenue survie. Dans un cas, Josh est chasseur de primes, dans un autre, collecteur d'organes, dans le dernier cas, détrousseur de tombes. Inutile de préciser que les scénarios présentés ne sont pas très joyeux. Dans tous les cas, l'eau, l'air pur et la fraîcheur sont devenus les enjeux principaux. Il n'est plus question de confort, de technologies, d'hubris, mais véritablement de besoins vitaux dans un monde dont les ressources essentielles ont été épuisées.
Les références à l'univers des westerns (notamment spaghettis) sont légions. Le titre fait bien sûr référence au film Pour quelques dollars de plus de Sergio Leone, ainsi que le cadrage des personnages souvent en extrême gros plan. Josh a de faux-airs de Clint Eastwood, et son prénom rappelle celui de Josh Randall (Au nom de la loi, un personnage incarné par Steve McQueen). Dans un cas, Josh est présenté comme Le Bon, dans un autre, La Brute, et dans le dernier, Le Truand. L'un des personnages s'appelle Tuco et est très inspiré de Eli Wallach, l'acteur qui interprète le truand du même nom. Enfin, l'héroïne rappelle elle-même la Claudia Cardinale d'Il était une fois dans l'Ouest. Oh, et cette phrase: "Il y a ceux qui cuisent, et ceux qui creusent" pour slogan de ces villes nouvelles qui se construisent sous terre pour y trouver un peu de fraîcheur... Et chaque chapitre est introduit par une citation extraite d'un dialogue de western. Ce choix esthétique et littéraire n'est pas là par hasard, il met l'accent sur un point commun entre ce monde fournaise et l'univers des westerns: la survie, l'individualisme, le chacun pour soi qui règnent en marge des civilisations. On y retrouve l'esprit de la trilogie originale Mad Max, chaque scénario correspondant à l'univers de plus en plus décadent de chaque épisode.
Je ne peux m'empêcher de penser à La terre inhabitable de David Wallace qui décrit très bien ces scénarios. Si cette bande dessinée met évidemment l'accent sur les aspects caricaturaux et tragiques du réchauffement climatique, il n'en demeure pas moins qu'elle offre la possibilité de se glisser l'espace d'une lecture dans un imaginaire qui ne l'est pas tant que ça, puisque d'ores et déjà certains pays vivent ces températures infernales quelques jours chaque été et que la vie recule globalement à un rythme inédit. Et c'est également l'occasion de prendre quelques leçons de réchauffement climatique scientifico-pratiques.
J'ai personnellement beaucoup aimé lire Pour quelques degrés de plus. Mon fils de 11 ans encore plus que moi malgré le style assez adulte du trait - il l'a déjà lu plusieurs fois. Et je me réjouis que la bande dessinée s'empare un peu plus de ces thématiques qui concernent en premier lieu nos enfants afin de les sensibiliser l'air de rien.
POUR QUELQUES DEGRÉS DE PLUS | Presque lune
Réfugiés sur le continent de plastique, les animaux en voie de disparition nous épient, nous examinent, et se gaussent de nos travers. Une vision absurde et comique qui met en exergue toutes nos...