Jean-Paul Dubois - L'origine des larmes

Voilà un an que j'avais réservé le dernier livre de Jean-Paul Dubois en date, L'origine des larmes, sorti en 2024 aux Éditions de l'Olivier. du fait que j'avais particulièrement apprécié Tous les hommes n'habitent pas le monde de la même façon qui avait été couronné du prestigieux prix Goncourt en 2019. Et là encore, je n'ai pas été déçu. L'histoire est à la fois très originale et très simple. Elle décrit les actes a priori incompréhensibles de Paul, un homme de 51 ans dirigeant de l'entreprise Stramentum spécialisée dans la production de housses mortuaires, les fameux body bags. Pour une raison que l'on découvrira par la suite, Paul, après avoir découvert que son père, Thomas Lanski, est mort au Canada, fait rapatrier son corps à Toulouse et lors de la visite à la morgue tire deux balles de pistolet dans la tête de son géniteur froid depuis 15 jours. Sans montrer la moindre émotion. Cet acte aura bien entendu des répercussions judiciaires, mais bénéficiant d'une jurisprudence, Paul est condamné à suivre une psychothérapie pendant un an. C'est sous cette contrainte qu'il fait la rencontre d'un psychiatre, Frédéric Guzman, qui va l'accompagner à raison d'une séance par mois pendant une année complète.

On découvre alors, petit à petit, son parcours depuis sa naissance jusqu'au présent, mais surtout le monstre de perversion qu'était ce père infiniment manipulateur, et dévoreur d'hosties traditionnelles. Un père qui a préféré aller au restaurant qu'assister à la mort en couches de la mère, Marta Sorensen, et du frère jumeau de Paul. Un père qui a immédiatement remplacé cette femme par une autre, Rebecca Huisbourg, très amoureuse de lui, une victime typiquement en quête de son bourreau. Elle est la fondatrice aisée de Stramentum et considère Paul comme son propre enfant, et Paul le lui rend bien. Très rapidement Lanski tente de prendre le contrôle de l'entreprise, sans trop de succès, puis monte des projets irréalistes et voués à l'échec. Un beau jour, rattrapé par les affaires, il disparaît complètement de la circulation, laissant Rebecca dans les affres du manque jusqu'à la mort, et abandonnant son fils.

Thomas Lanski est l'archétype même du salaud autocentré aux rêves de grandeur dont on peut suivre la trace aux souffrances qu'il a générées autour de lui tout au long de son parcours de vie. Toxique et dégueulasse, l'amour est un sentiment qui lui est complètement étranger et il coche de nombreuses cases de la psychopathie. D'une certaine manière, avec ses mensonges romanesques, il me rappelle le personnage du père de Sorj Chalandon dans Enfant de salaud. Le côté sympathique et doux dingue en moins. Un père Thénardier. Le genre de père à te dégouter de l'humain pour préférer la compagnie des chiens, même bâtards. Le genre de père qu'on a envie de tuer selon les préceptes du freudisme, symboliquement. Puis véritablement. Plutôt deux fois qu'une. De ses propres mains.

Et pourtant, il en aura fallu bien des années pour passer à l'acte. Paul a survécu plus que vécu. Cette psychanalyse sera l'occasion pour lui de remonter à l'origine des larmes, de ses larmes, quitte à être assisté par une intelligence artificielle pour l'introspection.

L'origine des larmes est un livre qui mêle la lourdeur du tragique à un humour qui fait du bien quand il survient. Avec un psychiatre assez pittoresque qui aurait lui-même besoin d'être suivi pour ses névroses. Avec de longs voyages juste pour aller caresser un chien. L'une des scènes du livre, celle de la cérémonie du faux enterrement en Corée, m'a rappelé Une vie heureuse de David Foenkinos et son personnage en quête d'individuation. Paul, après avoir passé toute sa vie dans l'univers de la mort, va-t-il à 51 ans enfin pouvoir vivre lui aussi ?

Lu en une traite, L'origine des larmes est un livre que je recommande en attendant le prochain de son auteur.