David Foenkinos - La vie heureuse

Lorsque je l'ai rencontré après avoir attendu une heure dans la file d'attente au salon du livre de Nancy cette année, j'avais déjà lu la moitié de son dernier roman en date que je venais d'acheter, La vie heureuse, et que je souhaitais lui faire dédicacer. Accessoirement, je voulais lui parler expériences de mort imminente, puisque lui-même en a vécu une à 16 ans qui a déterminé sa carrière, et l'inviter à l'avant-première du film Témoins à Paris, sur lequel j'ai travaillé quasiment trois ans avec la réalisatrice Sonia Barkallah. Je ne réalisais pas à quel point David Foenkinos est une rock star du livre. Enfin, un petit échange de quelques phrases pendant la dédicace, tutoiement de rigueur et sourire pro, à l'américaine, où il a semblé surpris qu'un film sorte sur le sujet, et un scoop: lui-même travaille sur un projet cinéma sur ce même thème. Rendez-vous en 2025 apparemment !

Eric, un employé de Décathlon qui a gravi tous les échelons possibles en interne et qui dans sa quarantaine traverse une crise du sens décide de quitter cette entreprise à laquelle il a tout donné. Et à la faveur d'un contact retrouvé avec une amie d'enfance, Amélie, il suit le chemin que le destin semble avoir tracé devant lui pour se lancer dans la politique en tant qu'assistant de cette amie devenue femme puissante et proche d'Emmanuel Macron. Mais très vite, et malgré une certaine réussite dans cette reconversion, les mêmes problématiques se manifestent, avec les mêmes heures supplémentaires, la même perte de sens et la même envie de tout lâcher. Tout s'enchaîne alors très vite. Lors d'un voyage à Séoul où il doit présenter un projet de partenariat entre la France et Samsung pour la création d'une usine du géant coréen à Mulhouse, il s'effondre juste avant la réunion avec Bak-yong, le président de l'entreprise. Par chance, la réunion peut être repoussée au lendemain. En dépit de cette opportunité incroyable, Eric restera injoignable, et la réunion tourne au fiasco. De retour à l'hôtel, Amélie le retrouve, et lui est incapable de lui expliquer ce qu'il s'est passé. Quoi qu'il en soit, il lui dit qu'il arrête tout, qu'il n'est plus en mesure de continuer.

De mort, il est question dans La vie heureuse, même si elle se situe au niveau symbolique. En effet, pendant son absence et sur le peu de temps libre qu'il lui restait après son malaise, Eric est allé vivre une expérience au hasard des rues: celle de vivre sa propre mort en mettant en scène sa cérémonie d'enterrement, où il reste enfermé dans un cercueil, et où on lui lit son épitaphe, une expérience qui lui procure un authentique électrochoc et va déterminer le reste de sa vie. Après avoir avorté sa carrière politique, il rentre immédiatement en France et décide de monter une franchise, "La vie heureuse", qui n'a pas encore d'existence dans le pays et qui est directement reprise de ce qu'il a vécu en Corée. Dès lors, cette entreprise de développement personnel sous forme de thérapie très brève va rencontrer un grand succès et donner naissance à une industrie. La véritable aventure peut enfin commencer !

La vie heureuse est un roman sur le concept d'ikigaï, venu tout droit du Japon et qui postule que chaque individu doit tendre vers un objectif qui concilie quatre forces cardinales: ce pour quoi il est doué, ce qu'il aime, ce qui est utile au monde, et ce pour quoi il est payé. C'est une autre façon de retrouver du sens dans cette course effrénée à la performance fonctionnelle qui a les atours d'une gigantesque roue de hamster. C'est un sujet qui me touche particulièrement dans la mesure où, moi-même en quête de sens et suite à des épreuves particulièrement dures dans ma vie personnelle, j'ai mis en sourdine ma propre carrière en informatique pendant trois ans pour tenter une reconversion vers la musique, le journalisme, l'écriture et l'industrie du film documentaire, avec un succès en demi-teinte puisque je n'ai pas encore réussi à réunir tous les piliers de l'ikigaï. Le mot "quête" a pris une importance tout à fait capitale dans ma vie et je comprends tellement ce par quoi est passé le personnage d'Eric dans ce récit. Je crois que la différence fondamentale entre la fiction et la réalité tient au fait que ce pour quoi la plupart des humains sont doués ou éprouvent de la passion n'est pas forcément utile au monde ou suffisamment payé pour en vivre. Dans les faits, l'ikigaï est souvent inatteignable structurellement.

La vie heureuse relève du conte de fées, le miracle du retour du sens dans un monde désenchanté. C'est un livre qui évoque la transformation fertile qui amène au succès, une expérience qui serait reproductible de façon industrielle. Or, s'il est indubitable que David Foenkinos incarne dans la vie réelle un personnage de contes de fées très proche d'Eric, à qui la réussite sourit pour tout ce qu'il touche, en littérature, en cinéma, ou en théâtre, le côté feel-good de ce dernier livre me semble malgré tout relever du mirage et de la croyance dans le concept new-age de Loi de l'attraction qui fait le succès de certains titres des rayons développement personnel. Le succès fait rêver, d'autant plus si ce qui l'empêchait peut être résolu en une unique séance d'une nouvelle thérapie importée de Corée du Sud. Chaque conte de fées a sa baguette magique ! D'où peut-être la file d'attente d'une heure à son stand du Livre sur la place pour une dédicace ?

Même si je suis persuadé que la transformation intérieure ne donne pas nécessairement naissance à la reconnaissance et au succès; même si réciproquement je suis intimement convaincu que beaucoup des personnes qui rencontrent le succès ne trouvent pas pour autant de sens à leur activité; il n'en demeure pas moins que le livre est très bien écrit et rien que pour cela, même si David Foenkinos n'est finalement pas venu à la première de Témoins, je le recommande volontiers.