27 Juin 2023
Enquête sur 150 ans de parapsychologie est un livre que j'ai lu avec bonheur en 2021, mais que je n'avais jusqu'à maintenant pas encore pris le temps de chroniquer. Je m'étais promis de le faire. Dont acte. Son auteur, Renaud Évrard, n'est pas un inconnu sur ce blog puisque j'ai non seulement déjà couvert l'un de ses livres récents, La mort, une expérience, mais j'ai eu également l'opportunité et le privilège de faire un entretien avec lui où nous avions surtout parlé d'expériences de mort imminente. Psychologue clinicien de formation et de profession, il est également l'une des figures de proue de l'anomalistique depuis son bureau au laboratoire InterPsy de Nancy, avec plus de 70 publications scientifiques à son actif.
Publiée en 2016, cette enquête est à la fois un livre d'histoire, de vulgarisation scientifique, de sociologie, de philosophie et de psychologie. Constituée de contenus très fournis et détaillés, cette mine d'informations est tout sauf dispersée ou vaine. Bien au contraire. Renaud Évrard est simplement d'une extrême minutie. Si tous ces thèmes sont abordés, c'est que la parapsychologie est inscrite dans plusieurs époques, différentes sociétés, différents états de la science et que pour bien la comprendre, il est nécessaire de comprendre en premier lieu le contexte dans lequel elle est apparue et a évolué pour devenir ce qu'elle est aujourd'hui: une discipline très injustement considérée avec mépris ou condescendance par la science mainstream comme une "parascience" ou une pseudo-science. Pourtant, de nombreux résultats ont été obtenus dans le cadre des recherches en parapsychologie qui prouvent l'objectivité de bon nombre de ces phénomènes et expériences psychiques. Le bon mot de Carl Sagan - "des affirmations extraordinaires nécessitent des preuves extraordinaires" - a bien été pris au pied de la lettre: le degré de signification statistique avec lequel certains des ces phénomènes sont mis en évidence est régulièrement à 7 sigma (ou 7 écarts-types) et parfois même à 9 sigma, ce qui dépasse de loin les 5 sigma habituels (et déjà très significatifs) pour toutes les autres disciplines scientifiques. Il y a donc bien eu des preuves extraordinaires et le problème n'est plus pour les chercheurs de prouver ce qui l'a déjà été, mais de faire en sorte que ces preuves soient examinées et relayées au-delà du plafond de verre de la stigmatisation, la "barrière des préjugés quant à l'impossibilité de tels phénomènes", pour rejoindre enfin les sphères d'un plus grand public qui, lui, croit au contraire en leur possibilité. Et retrouver l'honorabilité scientifique tant qu'à faire en repassant du bon côté de la ligne de démarcation entre sciences et pseudo-sciences.
Réhabiliter cette discipline est en réalité une tâche dantesque et les 480 pages en tous petits caractères double-colonne qui constituent cet ouvrage ne sont pas de trop. Je n'ose imaginer le temps qu'il a fallu pour l'écrire (surtout si l'on se fie aux centaines de références citées !), d'autant que plusieurs champs disciplinaires sont explorés en profondeur. Un petit peu comme Jacques Siron l'a fait dans un tout autre domaine, celui de la musique, avec son magistral La partition intérieure, devenu l'une des bibles des musiciens de jazz pour des raisons similaires. C'est un tour de force que Renaud Évrard réalise, ni plus, ni moins. Certes, l'écriture et la structure sont très académiques, avec de très nombreuses références de bas de pages pour indiquer les sources, ce qui peut être déconcertant pour les lecteur.rice.s sur la forme. Le sérieux a un prix, et si ce n'est que ça, ce n'est pas trop demander. Toujours est-il qu'une fois passée cette première impression, c'est à un véritable voyage dans le temps que nous sommes conviés, une plongée dans les marges de la science, qui s'avère incroyablement riche en aventures humaines, bien loin de l'image poussiéreuse et caricaturale de la parapsychologie.
Cette histoire d'une science mal aimée commence en 1778 avec l'arrivée à Paris d'un médecin allemand, Franz Anton Mesmer qui propose des "passes magnétiques" pour soigner les maladies du corps et de l'esprit, et qui propose l'hypothèse de l'existence d'un fluide naturel et universel aux vertus curatives. Le mesmérisme est né, il est clivant, et c'est ainsi que débute le bras de fer entre une science soutenue par l'Académie des Sciences et une autre soutenue par le grand public, des personnalités influentes ainsi que des chercheurs ouverts à des hypothèses profondément disruptives. Dans les années qui suivent, les champs d'étude vont se multiplier: le sommeil magnétique, le somnambulisme, l'hypnose, puis les tables tournantes qui deviennent spiritisme. En 1853, le député corse et écrivain théologien Agénor de Gasparin dirige l'expérience qui fait lever la plupart des doutes: il parvient à faire bouger une table par la seule imposition des mains, sans le moindre contact. Toujours plus clivant. L'Académie des Sciences en retour décourage les chercheurs de se pencher sur la question, quitte à faire appel à la moquerie et au ridicule. Pour ses membres, comme Léon Foucault (l'inventeur du pendule qui porte son nom) le simple fait d'envisager qu'une telle force mystérieuse - ce que l'on appelle depuis plusieurs années le facteur psi - existerait est déshonorant.
La ligne de front est un no-man's-land qui semble dès lors infranchissable. Il y a d'un côté, les sceptiques sérieux, et de l'autre, les croyants, les chercheurs farfelus, les doux-dingues, les perchés et les fraudeurs. Mais les champs de bataille de la parapsychologie s'étendent au fur et à mesure que les phénomènes s'amplifient et se diversifient: les différentes formes de médiumnité, le fakirisme, les ectoplasmes, la psychokinèse, la télépathie, la vision à distance, et même le cas de Johnny Coulon, l'homme insoulevable. La liste est loin d'être exhaustive. Les débats sont passionnés et passionnants. Ils opposent les sommités de leur temps. Ainsi, plusieurs prix Nobel s'impliquent dans la bataille de part et d'autre. Si l'on connaît Charles Richet, on pourra être surpris de découvrir que Pierre et Marie Curie ont eux aussi fait partie de la bataille côté croyants. Pierre Curie qui allait même jusqu'à écrire que les problèmes psychiques "étaient les plus importants problèmes de la science actuelle" tandis que pour Marie Curie, les séances de médiumnité représentaient "une question du plus haut intérêt". A l'opposé de ses oncle et tante, Frédéric Joliot Curie accepte la chaire de l'Union Rationaliste. Certains, comme Pierre Janet, le père français de l'inconscient et des thérapies de la traumatologie, ont un pied de chaque côté, à la fois époustouflés par ce qu'ils voient de leur propres yeux, mais attachés à leur réputation de sérieux, et préfèrent garder une distance prudente tout en s'investissant à l'écart des regards. Cette bataille entre sceptiques et croyants dure depuis plus de 150 ans, mais n'est pas inféconde pour autant. C'est d'elle qu'est notamment issue la notion d'inconscient. C'est aussi à partir d'elle que se sont développées les thérapies psychologiques et les psychanalyses, tandis que la psychologie a perdu son préfixe "para" pour retrouver ses lettres de noblesse et ses entrées à l'Académie des Sciences.
Enquête sur 150 ans de parapsychologie retrace les expériences célèbres - je pense notamment à ce qui concerne la médium à effets physiques Marthe Béraud - et n'hésite pas à soulever les tentatives de fraude quand elles ont été avérées, comme celles du médium Pasquale Erto qui utilisait un petit bloc de ferrocérium pour provoquer des projections lumineuses, ou celles de la célèbre médium spirite napolitaine Eusapia Palladino. Mais certaines expériences sont proprement spectaculaires et à ce jour inexpliquées. En lisant les chapitres qui abordent les ectoplasmes, j'ai repensé à la journaliste américaine Leslie Kean qui a elle aussi abordé le sujet de la médiumnité à effets physiques et des ectoplasmes générés par Stewart Alexander dans Survivre à la mort. Le mystère est donc très loin d'être résolu.
Il est aussi question des institutions qui se créent spécialement autour de la parapsychologie comme la Society for Psychical Research (SPR) créée à Londres en 1882, l'Institut Général Psychologique (IGP) créé en 1900 et dissout en 1933, ou encore l'Institut Métapsychique International (IMI) créé à Paris en 1919 où Renaud Évrard tient régulièrement des conférences. Mais aussi des conflits humains au sein de ces institutions : la parapsychologie est loin d'être un bloc uni et paisible.
En résumé, je trouve ce livre exceptionnel de par la richesse et la variété de ses contenus. À ce titre, il me semble être la référence de fait pour toute personne qui désire passer outre les préjugés et se faire une idée plus concrète de la parapsychologie.
Enquête sur 150 ans de parapsychologie - La légende de l'esprit
En 2017, le présent ouvrage est lauréat du Book Award of the Parapsychological Association. Cette récompense est annuellement attribuée à des travaux de qualité inscrits dans le champ de la ...
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