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TélescoPages

Un espace dédié à la musique, à la littérature, à la science, à la conscience, et au-delà

Samuel Wambre, Julie Feuillas - Le collectif, histoire de notre éco-hameau

Quand un groupe d'humains, animés par une même utopie, se réunit pour faire de ce rêve une réalité, personne ne se doute de la densité de l'aventure humaine qui se profile. Cette utopie, c'est la création d'un petit paradis sur terre, un éco-hameau situé quelque part dans le sud de la France: La Borie. Selon les uns, la borie serait à l'origine une cabane en pierre sèche, selon les autres, ce serait un domaine agricole. Dans les deux cas, le hameau porte bien son nom tant il s'agit de renouer avec une rusticité où le maître-mot reste le labeur. Et si tout le monde est d'accord sur l'existence d'un profond désir de "bout du monde", de coupure avec la société de consommation, cette récompense a un prix que l'enthousiasme initial a une fâcheuse tendance à minimiser, voire à occulter complètement. Ce prix, c'est la vie en collectif. Un petit paradis où l'on découvre rapidement que l'enfer, c'est les autres.

Un collectif, c'est comme un couple mais avec plus de monde. Chacun projette sur ce même rêve des aspirations différentes. Chacun se lance dans l'aventure avec une multitude d'angles morts, sur ce que le quotidien d'un collectif implique, mais surtout sur ses propres compétences à la vie en groupe. Certains sont très pointilleux, d'autres plus je-m'en-foutistes. Certains travaillent plus que d'autres pour le collectif, d'autres sont plus artistes et leur valeur ajoutée ne se voit pas forcément immédiatement. Certains ont besoin de leur intimité, tandis que d'autres sont plus extravertis. Certains fournissent les outils, d'autres les utilisent sans en prendre trop soin. Certains ont besoin de règles, d'autres de liberté. Certains ont besoin de prévoir, d'autres privilégient l'improvisation. Et c'est évidemment dans la durée que ces différences travaillent à l'usure, et que les choses finissent par se compliquer. La multiplicité des caractères offre autant de surfaces de friction. Au départ, chacun prend sur soi en gardant le sourire, mais avec le temps, les micro-frustrations s'accumulent et les tensions deviennent palpables. Et quand les compromis se font compromissions, l'orage n'est plus très loin.

Bien entendu, les différences se gèrent rationnellement alors on établit des règles de vie en commun, une mini-constitution pour établir la façon dont les décisions seront prises, dont les ressources seront partagées. On pose les droits et les devoirs des un.e.s et des autres. Et puis on fait des réunions de suivi hebdomadaires pour parler des problématiques du moment, des projets qui s'inscrivent dans une vision à moyen et long terme, des conflits plus ou moins larvés. En ayant recours à la communication non-violente, aux brainstormings, aux post-it pour prioriser. On apprend à se découvrir soi-même en profondeur - les difficultés rencontrées sont pour cela un excellent révélateur - et l'on découvre que l'on s'est un peu surestimé. On admire un peu l'autre, mais il nous déçoit quand même beaucoup. On apprend à compter les un.e.s sur les autres, puis on apprend à faire les choses soi-même, les dents serrées, la rage au ventre, pour que ça avance, avec le sentiment d'être lésé. On réalise que l'on n'est pas si libres que ça, comme dans une copropriété à la puissance dix. Les bons comptes font les bons amis, jusqu'à compter les petits pois comme dans le sketch "L'addition" de Muriel Robin. On se demande ce que l'on est venu faire dans cette galère. On cherche un plan de sortie. Un jour, la goutte de trop fait déborder le vase, le rêve est devenu cauchemar, le paradis, un petit enfer terrestre.

Dans la bande dessinée, La collectif, histoire de notre éco-hameau, 5-6 années sont retracées d'une histoire vraie qui a réuni une dizaine de personnes, copains, copines, couples, enfants, plein de rêves en bandoulière. Elle illustre à merveille la distance qui sépare le rêve de la réalité, le chemin caillouteux et escarpé qui relie la coupe aux lèvres. Et surtout, elle met en lumière la condition humaine dans son aventure initiatique, l'impermanence, le rééquilibrage dynamique qui est la seule solution au "problème à n corps" relationnel. Un éco-hameau est une mini-société qui met tout le monde à rude épreuve, un mélange de courage et d'inconscience, dont on ressort enrichi d'expériences fortes et de découvertes de soi. Mais au fond, comme toujours, peu importe la destination, c'est le chemin qui compte. À la fin, si c'était à refaire, tout le monde signerait de nouveau. Parce qu'il y a tant de beaux moments, de magie, parce que rêver, c'est déjà ça, parce qu'incarner ses idéaux est d'une noblesse rare, parce que vivre selon ses valeurs vaut mieux que survivre en dépit d'elles, parce qu'il y a la fierté de ce qui a été construit. Et puis parce qu'à la fin, les choses se stabilisent quand même et qu'il reste la possibilité de se retourner avec un sourire bienveillant sur toutes ces tensions qu'il a fallu surmonter. Un éco-hameau, c'est une odyssée.

Pour ma part, j'ai eu un temps cette velléité de rejoindre une initiative comme celle-ci. Je me suis pris à rêver moi aussi à un retour aux sources et à la rusticité. Mais, je suis lucide. Hormis sur un manche de guitare ou sur un clavier d'ordinateur, je ne sais pas quoi faire de mes dix doigts. Et puis, je ne me sens pas capable de cette vie en tribu. C'est pourquoi j'ai d'autant plus admiré et été touché par ce rêve partagé, par ces hauts et ces bas, par ces humains qui ont osé se lancer et qui ont accompli des choses dont je suis bien incapable. Je me suis littéralement laissé embarquer dans cette aventure, petit passager clandestin d'un bateau devenu galère. Et j'ai quitté ce livre avec quelques larmes sur les joues, en résonance avec l'enfance qui n'a jamais abandonné ces adultes et en reconnaissance de cet amour qui a tenu malgré les épreuves.

Samuel Wambre, Julie Feuillas - Le collectif, histoire de notre éco-hameau
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