Sandra Giessinger - Les signes de ta présence

Le 12 octobre 2019, le jour de ses 20 ans, Axelle Giessinger est victime d'un accident de voiture qui lui ôte la vie. Un authentique coup du destin. Alors qu'elle roule à la vitesse autorisée, sans le moindre alcool ou la moindre drogue dans le sang, sans qu'aucun autre conducteur ne soit impliqué, un faisan se pose sur sa voie, elle tente de l'éviter, perd le contrôle de son véhicule et celui-ci s'encastre dans un arbre. La mort est parfois aussi cruelle que ça. La vie tient parfois à quelques secondes d'avance ou de retard.

Dans la famille très soudée d'Axelle, c'est l'effondrement. Tout à coup, toute joie qui disparaît. Pour ses parents, Sandra et Pascal Giessinger, pour son frère Thibaud Giessinger, commence alors un processus de deuil, un deuil parmi les plus difficiles qu'il soit possible de vivre, malgré le soutien des proches, des amis, des membres du club de handball où Axelle jouait. La vie continue sur des automatismes mais le coeur n'y est plus. Le quotidien est désormais une épreuve et le temps ne semble rien y faire à l'affaire. La détresse et la souffrance s'installent dès le réveil et ne s'atténuent qu'avec le sommeil. Un être vous manque et le monde est dépeuplé: jamais cette maxime n'est aussi vraie que lorsque cet être est la chair de sa chair.

Mais un matin, Sandra Giessinger vit une expérience étrange. Alors qu'elle se réveille et est encore dans un demi-sommeil, elle sent une présence dans son lit, une présence physique. Elle se retourne et alors lui apparaît la vision d'Axelle, lumineuse alors que la pièce est plongée dans l'obscurité. Elle la prend même dans ses bras, toute tension disparaît. Ivre de bonheur, elle se rendort, mais se réveille en pleurant, en s'accrochant comme elle peut aux sensations de cette présence qui restent prégnantes. "Je n'ai pas rêvé. C'était vraiment réel. Je l'ai vraiment vue. Je ne sais pas expliquer cela mais j'éprouve une sorte d'euphorie." Cette expérience lui permet de retrouver un peu de légèreté. Et c'est surtout le point de départ de questionnements sur la mort qui vont la conduire avec sa famille à s'intéresser à la médiumnité, à travers des sessions en groupe ou en individuel où elle reçoit des messages d'une précision incroyable. C'est aussi ce moment où les synchronicités vont commencer à s'accumuler. Un après-midi, alors qu'elle marche dans une galerie marchande avec Pascal et Thibaud, elle lit un message sur un porte-carte où il est écrit "Maman, je t'aime". Puis mystérieusement les alarmes se déclenchent une par une au fur et à mesure qu'elle passe devant les enseignes de cinq magasins. Elle découvre par ailleurs dans une boîte des textes qu'Axelle écrivait qui se révèlent incroyablement forts dans ce contexte. Axelle lui apparaît plusieurs fois dans des rêves qui ont une consistance spéciale et s'adresse à elle: ce scénario de vie était planifié.

Petit à petit, Sandra Giessinger réalise que la relation avec Axelle n'est pas interrompue. Elle s'inscrit dans une continuité qui dépasse l'espace et le temps et prend ses racines dans le mystère. Comme dans le livre Karine, après la vie, qu'elle lit, un lien perdure qui s'exprime dans des phénomènes étranges, à travers des synchronicités, ou par le biais de la médiumnité et d'un guide immatériel qu'elle découvre. Ce lien est ce qui va lui permettre, ainsi qu'à sa famille, de retrouver la force d'avancer, et de cofonder en 2021, avec son mari et d'autres mamans endeuillées, l'association Les Mamans Lumineuses et les Papas aussi dont l'objet consiste à "apporter un soutien moral et spirituel aux parents endeuillés et plus largement à toute personne endeuillée" et de monter le Projet Axelle qui a pour vocation de faire évoluer les processus administratifs qui s'avèrent être particulièrement brutaux dans le cas de la perte d'un enfant. Cette expérience, comparable à celle vécue par Catherine Kosmala, une autre maman endeuillée (voir Je suis là), montre que la mort d'un enfant peut être transmutée et donner lieu à la naissance d'un projet profondément humain.

L'amour qui réunit un parent et un enfant est un lien très spécial d'une valeur inestimable. C'est à mon sens la forme la plus aboutie que l'Amour peut prendre sous sa forme incarnée puisqu'il entraîne une vérité, un respect, une confiance et une bienveillance sans pareilles dans son sillage. C'est pour cette raison qu'il est de toute première importance en tant que parent de s'assurer que la responsabilité qui nous est conférée par la nature ne se trouve pas dévoyée par le quotidien, usée par la fatigue, érodée par la facilité de l'autoritarisme. En ce qui me concerne, j'ai pleine conscience qu'un enfant est un adulte en devenir, possiblement une conscience qui a déjà beaucoup vécu si l'on est ouvert à l'hypothèse de la réincarnation (ce qui est mon cas). Quand l'adulte est accompagnant et respectueux des besoins, alors l'amour naturel qui s'installe avec l'enfant se renforce au lieu de se détériorer comme on peut le voir bien trop souvent quand les violences éducatives ordinaires se multiplient.

Les signes de ta présence m'a fait pleurer à chaudes larmes comme jamais aucun livre auparavant. L'empathie à son comble, j'ai consulté les photos de mon téléphone pour voir ce que je faisais ce 12 octobre 2019 tragique. Et la seule photo prise ce jour-là est celle de ma fille de 3 ans jouant de mon violon. Je m'en rappelle bien. Elle prenait à l'époque des cours avec mon amie Axelle qui enseigne en école Suzuki et voulait absolument essayer mon violon, bien trop grand pour elle. Et pendant que je vivais ces instants d'échange lumineux en la regardant être résolument elle-même, quelque part ailleurs, une autre vie s'éteignait qui plongeait une famille dans la tristesse la plus profonde. Quel sentiment étrange ! Et quelle chance pour moi d'avoir mes enfants vivants auprès de moi, même si ce n'est qu'une semaine sur deux, même si mon fils a traversé de grosses épreuves qui l'ont conduit à faire une tentative de suicide pour des faits de harcèlement scolaire. Quel privilège de pouvoir les serrer dans mes bras, de les regarder grandir et devenir, de pouvoir rire avec eux ! Quel privilège de pouvoir être fatigué le soir du fait de leur surplus d'activité et de leur demande d'attention ! Quel privilège de conserver ce lien d'Amour intact entre nous, de pouvoir nous dire quotidiennement "Je t'aime" ! Quel privilège de pouvoir traverser les épreuves ensemble ! Quel privilège que la vie suive son cours ! Quel privilège que cette insouciance ! Les signes de ta présence m'a rappelé s'il en était besoin l'importance capitale de cette relation avec mes enfants, la valeur infinie de cet amour entre nous, l'importance de réaliser que jamais rien n'est acquis, que ces instants sont précieux et qu'il faut les vivre aussi intensément et respectueusement que possible tant qu'il y a de la vie. Et cette conscience toujours plus grande que les conflits qui sont légions dans le monde et qui brisent quotidiennement et industriellement des liens d'amour sont une horreur absolue, une abomination, un cauchemar !

Je remercie du fond du coeur Sandra Giessinger pour avoir eu le courage d'écrire un tel livre à l'encre de ses larmes et de partager les écrits de sa fille (ainsi que la très belle aquarelle qu'Axelle a peinte qui illustre la couverture). Je note au passage la sensibilité de la journaliste, réalisatrice et auteure Sonia Barkallah qui a écrit la préface et m'a offert ce livre. Et je dédie cette chronique à toutes les Axelle du monde et à tous leurs parents.