21 Septembre 2022
Le domaine des expériences de mort imminente (EMI) est un champ d'investigation qui me fascine de par ce qu'il permet d'envisager quant à la nature de la conscience et de ce que l'on a coutume d'appeler la réalité. Longtemps niées, puis considérées du bout des lèvres comme des hallucinations sans intérêt, les chercheurs en sont désormais venus à accepter la réalité phénoménologique de cette expérience au point de l'étudier sérieusement. Le psychologue clinicien Renaud Évrard est l'un de ces chercheurs. Mais à la différence de nombreuses autres personnalités qui s'inscrivent dans la lignée des classifications établies par le psychiatre Raymond Moody depuis la parution en 1975 du succès mondial de librairie qui a marqué l'arrive auprès du grand public de ce phénomène, La vie après la vie, le chercheur lorrain questionne l'énoncé et les idées reçues. Et si, contrairement à ce que les tenants de l'hypothèse dualiste en disent, les EMI n'étaient pas un phénomène de nature transcendantale ou paranormale ? Face à une affirmation extraordinaire, le travail d'un scientifique n'est-il pas en premier lieu d'épuiser les explications plausibles qui ne remettent pas en cause le modèle ayant cours à un instant donné, en l'occurence le fait que la conscience soit une propriété émergente des réseaux neuronaux du cerveau ?
Dans son essai paru en septembre 2022, La mort, une expérience, Renaud Évrard fait un excellent travail d'historien en allant rechercher des cas aux caractéristiques similaires à des EMI remontant jusqu'au XVIIIème siècle, en allant ressortir des archives les travaux oubliés des psychiatres et philosophes de la fin du XIXème siècle sur ce qui portait déjà le nom d'expériences de mort imminente (Victor Egger leur a donné ce nom en 1896!), des témoignages qui ne correspondent pas tout à fait aux modèles posés par Raymond Moody et Bruce Greyson. Renaud Évrard n'hésite pas en effet à remettre en question ce qui à force de répétitions est devenu une évidence de l'ordre du mythe contemporain. Il y a en effet une dissonance qui interpelle, entre d'une part, les anciens modèles d'Egger, de Pfister, de Ferenczi, et du philosophe et prix Nobel de littérature Henri Bergson lui-même, et d'autre part, les modèles plus récents de Moody et Greyson. Ainsi, en se basant sur le modèle bergsonien de la mémoire dissociée, sans toutefois exclure les hypothèses paranormales ou transcendantales, Renaud Évrard postule qu'une EMI pourrait être en premier lieu une expérience dont la finalité serait de maximiser les chances de survie. Dans les années 1920-1930, de nombreux alpinistes ont rapporté avoir vécu des chutes lors desquelles le temps s'est ralenti considérablement leur permettant d'un côté d'avoir grâce au recul de la "conscience désincorporée" - que d'aucuns assimilent à une sortie hors du corps - une évaluation très claire et précise de la situation, et d'un autre côté, d'avoir les réflexes du corps de façon automatique grâce à la "conscience hyperincorporée" pour adopter les gestes qui sauvent, le tout au prix d'une énergie somatique intense qui ne serait autre que la fameuse "énergie du désespoir". Il semblerait y avoir donc une "disjonction" entraînant un fonctionnement exceptionnel du cerveau dans certaines situations de danger exceptionnel, ou perçu comme tel. Ce sont d'ailleurs les cas déjà documentés au XIXème siècle de "revue de vie" ou de vision panoramique de la vie qui ont permis à Bergson de postuler l'existence d'une "mémoire pure" seulement (et parfois) accessible en cas de danger mortel.
La mort, une expérience est aussi l'occasion pour son auteur de revisiter les données des études de Raymond Moody et du cardiologue Pim van Lommel et de noter avec surprise que les conclusions qui en ont été tirées sont partiellement incorrectes ou au minimum partiales. Ainsi, dans la fameuse étude prospective de 2001 qui montrait que les personnes ayant vécu des EMI lors d'un arrêt cardiaque auquel elles avaient survécu connaissaient ensuite des changements profonds de valeurs morales, il n'était pas indiqué qu'en valeur absolue, ce sont surtout les survivants n'ayant pas vécu d'EMI qui ont davantage changé que les autres. D'autre part, certains des patients de l'étude se sont ravisés dans les témoignages huit ans après, ce qui semble indiquer que la mémoire connaît des fluctuations énormes et que les statistiques reposent sur des fondations friables, ainsi que sur des nombres qui en principe sont insuffisants pour être significatifs. Par ailleurs, Renaud Évrard note que dans de nombreux cas d'EMI survenues lors d'accouchements avec complications, la relation mère-enfant s'en trouve très largement détériorée. Ou encore que certaines EMI laissent des souvenirs absolument traumatisants à vie. Ces exceptions viennent entailler la vision unilatéralement positive ou positiviste de l'impact psychologique des EMI.
Partant du constat qu'il existe de nombreux biais dans le recueil de témoignages depuis les années 1970, le chercheur propose de constituer un nouveau corpus de témoignages en passant par une branche particulière de la phénoménologie: la micro-phénoménologie, laquelle permet d'explorer de façon quasi chirurgicale la subjectivité des expérienceur.se.s en se départissant des a priori, afin de créer de nouveaux jeux de données permettant peut-être d'y découvrir de nouveaux invariants. Car le phénomène des EMI semble nettement plus varié et complexe que la mythologie actuelle ne le laisse paraître. C'est l'objet actuel de l'un des projets de recherche que Renaud Évrard dirige au sein de l'université de Lorraine.
Cette remise en question sincère des connaissances et des modèles existants me paraît extrêmement saine. C'est à titre personnel ce que je considère comme de la véritable recherche scientifique, dans le sens qu'elle suit une épistémologie remarquable dans la chasse aux biais cognitifs tout en ne préjugeant pas de la nature moniste ou dualiste de l'expérience elle-même. La mort, une expérience est un livre qui fait du bien, en particulier parce qu'il se démarque notablement de la production orientée new age, ou scientifiquement biaisée. C'est un travail sérieux, avec d'abondantes références académiques et philosophiques, et je ne peux m'empêcher d'avoir hâte que les résultats de cette nouvelle recherche soient publiés. C'est potentiellement un deuxième souffle qui attend les EMI et la connaissance de la conscience!
[Parution] La Mort, une expérience. Un psy face aux expériences de mort imminente
L'ouvrage traite du point de vue de la psychologie des " expériences de mort imminente ", soit des vécus exceptionnels de personnes confrontées à leur propre mort (impressions de sortir de leur...