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TélescoPages

Un espace dédié à la musique, à la littérature, à la science, à la conscience, et au-delà

Gaëlle Josse - Une longue impatience

Après avoir découvert Gaëlle Josse au travers de son recueil de poésies Et recoudre le soleil, je me suis laissé partir, cette fois-ci, dans l'un de ses romans. On a coutume de dire que le battement d'ailes du papillon peut provoquer une tornade à l'autre bout du monde. Dans Une longue impatience, publié en 2017, une rouste mémorable infligée dans un village de Bretagne par un beau-père - Étienne - au fils de sa femme - Anne - issu d'un premier mariage - Louis - va être la cause du départ de ce dernier à l'autre bout du monde. Âgé d'à peine 16 ans, au sortir de la seconde guerre mondiale, celui-ci prend le premier navire marchand venu pour échapper à ce beau-père qui n'accepte pas le passé de sa femme que cet enfant incarne. Au lendemain de cette raclée dont le motif relève de l'anecdotique, Louis ne rentrera tout simplement pas du lycée. Sans un mot, sans une parole.

Commence alors pour sa mère un long parcours qui mettra son impatience à l'épreuve et ses nerfs à bout. Telle Pénélope attendant le retour d'Ulysse, il lui est désormais impossible de vivre une vie normale. C'est une apnée, toute en faux-semblants, car les ragots au village vont bon train à propos de cette femme de rien qui, après la mort accidentelle de son pêcheur de mari, s'est remariée avec le garçon d'une famille aisée revenu après des études à Paris dans son village d'enfance pour y tenir la pharmacie. Avec pour uniques respirations, les moments qu'elle s'octroie quotidiennement à retourner dans son ancienne maison, son ancien foyer, et les lettres qu'elle envoie à Louis dans lesquelles elle décrit les façons dont elle fêtera son retour, l'amour qui l'attend, les regrets. Un temps pour elle, pour porter un deuil: la disparition de son fils, après celle du père, et la honte de n'avoir rien pu faire pour éviter cela. Car tout est désormais teinté de l'absence, avec conjointement, la culpabilité qu'elle fait porter à Étienne ("Tu n'aurais pas dû") tout en décrivant le parcours de cet homme amoureux d'elle depuis la prime enfance qui n'avait pas anticipé qu'elle se marie si tôt. Mais comment aurait-elle pu imaginer qu'une fille comme elle puisse intéresser un homme comme lui ?

Anne revisite le passé, retrace le chemin qui, partant d'une enfance d'ecchymoses - ah le bon vieux temps d'avant Dolto! - la mène à un premier mariage avec un marin, puis à un deuxième aussitôt les deux ans de la période de deuil écoulés. Un premier enfant avec Yvon, puis deux enfants avec Étienne. La promesse d'avant mariage qu'il aimera ce fils qui n'est pas le sien comme s'il était son père. Mais peu à peu, Louis ne trouve plus sa place dans le foyer qui s'agrandit. "Présent, il gênait. Absent, son ombre dérange encore." Les rapports s'enveniment. Etienne corrige Louis à coups de ceinture, à coups de poing. Jusqu'au poing de non retour. Les prétextes sont fallacieux. En réalité, Louis est la preuve vivante et cinglante de ce passé amoureux qui a échappé à l'exclusivité d'Étienne, et cette violence n'est rien d'autre qu'une façon d'exprimer une jalousie qui ne dit pas son nom. "Une promesse sincère, trop grande, et puis les paroles se sont effritées. Du sable entre les doigts. Rien de plus. J'y ai cru parce que c'étaient les mots que je voulais entendre, parce que c'étaient les seuls qui pouvaient me rassurer, me consoler, m'apaiser, parce qu'ils étaient les seuls à éclairer ma nuit, ma peine, ma solitude. Et elles étaient immenses." Une longue impatience raconte le chemin de croix, d'une mère rongée par la culpabilité et l'incompréhension, dont l'existence est réduite "au guet des bateaux qui arrivent, à cet espoir [qu'elle] doit chaque jour inventer, à la force [qu'elle] doit trouver en [elle] pour sortir par tous les temps, par tous les vents, pour faire semblant de vivre." L'espoir qui s'amenuise, au fur et à mesure que le retour tant espéré, idéalisé même, se fait attendre.

Je retrouve la poésie de la langue et des situations, une empathie de l'auteure pour son personnage principal, empathie largement communicative. Gaëlle Josse décrit bien l'ambiance d'un village d'après-guerre, entre le poids des commérages, le temps occupé à observer les autres au prisme de la jalousie alimentée par les inégalités matérielles. Ce n'est certes pas la plus belle part de l'humain qui est mise en avant dans cette communauté villageoise qui rappelle l'univers des chansons de Brassens, et particulièrement la mesquinerie de ses croquants étriqués. Le contraste avec la grandeur silencieuse des sentiments de cette mère est d'autant plus grand.

Une longue impatience est un livre touchant, émouvant, qui me donne très envie de continuer de découvrir le reste de l'oeuvre de Gaëlle Josse. Un livre que je recommande volontiers.

Gaëlle Josse - Une longue impatience
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