Gaëlle Josse - et recoudre le soleil

Voici un recueil de poèmes courts dont le titre m'a immédiatement parlé: et recoudre le soleil de Gaëlle Josse. Je ne saurais dire pourquoi, mais ces quatre mots m'ont touché. Profondément, je crois que cette phrase condense ce qui attend les personnes aux ailes brisées, cette reconstruction artisanale et lente du réacteur nucléaire de chaque humain, de son âme, cette réhabilitation de l'enfant intérieur. Quatre mots qui valent mieux que mille images. Quatre mots qui racontent. Quatre mots qui pansent. La force calme de ces mots parfaitement choisis. C'est peu de dire que j'avais hâte de m'y plonger.

Sorti en début d'année 2022, il est le fruit d'une moisson de petits textes cristallisés sur une variété de supports parfois incongrus, puisque ce sont des apparitions, fugaces, volatiles, furtives, et qu'il y a urgence à noter, peu importe le flacon pourvu que ce soit livresque.

C'est le propre des bons artisans de faire en sorte que le labeur, la sueur et les heures passées à s'user les yeux et les doigts sur un ouvrage de précision ne se ressentent pas. Une telle évidence transpire la facilité, de telle sorte que l'on peut être tenté de se dire que tout un chacun est en mesure de faire la même chose. Mais ne nous y trompons pas, l'évidence est le fait de l'orfèvre. 

la peau arrachée jusqu’au coeur
mais ce brin d’herbe
devant la fenêtre

Nous sommes aux confins du haïku, et la puissance évocatrice transperce. L'essentiel est dit: la contemplation est rédemptrice.

et recoudre le soleil se passe ainsi de la plupart des artifices de la langue, des effets de manche et des figures de styles, c'est une poésie qui se pratique à mains nues et délicates, dans l'économie des gestes. La rencontre entre le texte et ses lect.rice.eurs se passera ainsi des numéros de pages, des majuscules et de toute ponctuation. Gaëlle Josse se permet simplement de jouer avec les retours à la ligne ainsi qu'avec l'espace de la feuille (ce qui n'est pas sans rappeler Maud Thiria), disposant souvent ses phrases en miroirs, de part et d'autre de la page. Cette simple composante graphique ajoute une dimension spatiale qui, à l'instar de la technique d'EMDR, fait agir la poésie à l'insu de la lecture.

dissoudre la tristesse je n'ai pas trouvé
la recette

impatience d'un lendemain
habitable

Dans la simplicité et le dénuement, Gaëlle Josse impose sa force, superpose la souffrance et son remède naturel, le poison et l'antidote. Ainsi le soleil est convoqué à maintes reprises pour diffuser sa lumière douce et réparatrice. Le soleil qui continue de briller derrière les nuages:

cette étoile tremblante
qui nous sourit

La solitude, propice à la redécouverte de l'enfant oublié, nécessaire même. La danse, dans son mouvement, qui ramène à la vie. Nous sommes les danseur.se.s, funambules sur le fil d'un rasoir. Tout est dit en préambule par les mots rapportés de Pina Bausch: "Dance, dance, otherwise we are lost."

et recoudre le soleil est un recueil qui n'est pas aussi décousu qu'il n'y paraît, patchwork d’instantanés et d'impulsions recousues, aux coutures impeccables. Qui se lit et nous relie à notre timoun, notre petit monde. Un savant dosage ikebanesque entre le fond et la forme.

Simple.

Et fragile.

Je laisse les mots de Sting qui jaillissent et s'imposent à ma pensée conclure à ma place.

If blood will flow when flesh and steel are one
Drying in the colour of the evening sun
Tomorrow's rain will wash the stains away
But something in our minds will always stay
Perhaps this final act was meant
To clinch a lifetime's argument
That nothing comes from violence and nothing ever could
For all those born beneath an angry star
Lest we forget how fragile we are

On and on the rain will fall
Like tears from a star
Like tears from a star
On and on the rain will say
How fragile we are
How fragile we are