24 Septembre 2022
Qui n'a pas dans son coeur un livre dont il ou elle peut dire qu'il a été déterminant à un moment donné de sa vie ? Ou qu'il l'a marqué profondément ? Ou simplement ému aux larmes ? La plupart des lect.rices.eurs le savent bien: il existe des livres qui ont ce pouvoir d'éclairer, de guérir, de soigner, de soulager, de montrer le chemin, ou de rendre le monde habitable. D'autres ont la capacité de faire rire ou pleurer, d'écoeurer, de faire surgir la colère et la rage. Sous son apparence anodine, chaque monolithe de papier et d'encre est remède (ou poison) et chaque bibliothèque, pharmacopée. Ainsi, pour Michel Le Bris, ce sont les livres de voyageurs et de pirates recommandés par son instituteur pendant l'enfance qui l'ont édifié au point que bien des années plus tard, il créera le festival Étonnants Voyageurs à Saint-Malo. Me concernant, c'est L'art de perdre d'Alice Zeniter qui m'a porté quand mon monde s'effondrait en 2018. Je ne serais jamais assez reconnaissant à cette auteure de m'avoir gardé en vie par le simple pouvoir de ses mots. Et, de fait, de m'avoir fait prendre conscience que les mots guérissent!
Les mots ont des pouvoirs, ce n'est pas une blague! Les dictateurs et les idéologues du monde entier connaissent notamment bien - tout en le craignant - le pouvoir émancipateur des livres. D'où les autodafés. D'où les interdictions. D'où les censures. Et évidemment, les dissidents le savent. Combien de livres et poèmes ont permis de garder vivant le feu des rebellions ? Celui des prisonniers russes des goulags qui s'accrochaient à des poésies. Mais celui des Irlandais du temps de la domination toute en brutalité et en humiliation de l'Angleterre, des poètes brésiliens du temps de la dictature militaire, de Pablo Neruda à Alexandre Soljenitsyne en passant par Salman Rushdie. Ce ne sont que des mots, mais ils portent en germe transformation et transmutation. Sans aller jusqu'à la sédition, le pouvoir des livres est thérapeutique. Quand ce pouvoir est utilisé avec sagesse pour soigner ou guérir, on parle de bibliothérapie.
Régine Detambel est une auteure, mais c'est surtout la papesse de la bibliothérapie créative en France. Kinésithérapeute de formation, elle a l'instinct du soin. Et lorsque ces mêmes mains qui procurent massages et craquements d'os salvateurs se munissent d'un stylo, c'est la même dynamique qui est en action. Ce qui était par le passé une approche intuitive et essentiellement empirique est en train de devenir une discipline consciente à part entière. Bien plus en subtilité que les livres de développement personnel ou de psychologie qui prescrivent des solutions évidentes à des problèmes reconnus, la bibliothérapie agit dans les profondeurs, dans les abysses de l'inconscient, et s'envisage désormais comme une alternative sérieuse aux anti-dépresseurs, psychotropes et autres anxiolytiques. Ou comme un complément a minima: les médicaments se chargent d'aider temporairement à passer des moments difficiles, tandis que les livres agissent durablement et solidifient la guérison.
Dans son ouvrage Les livres prennent soin de nous, Régine Détambel nous offre un panorama des expériences transformatrices de lecture à travers les âges et les époques. Que ce soient ces lectures organiques de jeunesse qui sculptent l'humain en devenir, les poésies au pouvoir hypnotique, les textes en langue étrangère dont la seule musicalité emporte, les lectures plus absconses de l'âge adulte, les références fourmillent. C'est un magma d'érudition sans lourdeur où il est question de nombreu.ses.x auteur.e.s reconnu.e.s et de leur rapport à l'écriture. C'est une plongée dans cet objet qui offre un accès privilégié à la pensée des géants. Les mots structurent la pensée, et le livre est pourvoyeur de mots, ce qui fait donc de lui un passeur!
"La littérature est ce qui fermente. Les textes littéraires sont des mères, comme on dit la mère du vinaigre. Cela fermente donc. Un fragment de phrase copiée d'Ovide ou d'Henri Vernes ou de Faulkner agit comme une levure ou comme un fond de tonneau, il fait tourner ce qui n'était que liquide. Ca prend. La littérature est ce ferment, elle est ce qui apporte "la vie fermentante" dans l'univers de chacun trop souvent pasteurisé."
Les livres prennent soin de nous se lit vite en raison d'un format délibérément court mais il agit longtemps. Une lecture prise de conscience!
Ma bibliothèque est une skyline que je parcours parfois de la main, ou dont je relis simplement quelques titres comme on pourrait consulter des albums de photos. Désormais, je sais que même ce simple contact de la main d'un livre lu et aimé est agissant. Et je ne peux m'empêcher de m'émerveiller comme un enfant: il y a de la magie là-dedans!
Les livres prennent soin de nous
Entre la plaisanterie postmoderne et l'art conceptuel, ce petit nécessaire de secours littéraire nous rappelle cependant que les mots ambitionnent de vaincre les maux, afin peut-être de ne plus ...