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26 Décembre 2022
Le prolifique écrivain poète Pascal Depresle nous livre enfin la suite de ses pérégrinations pluviales. Le premier tome de ce diptyque sorti en 2020 se concentrait sur les souvenirs de la petite enfance, et ce monde-là n'avait rien du pittoresque de Pagnol. Il y avait de la noirceur, comme si les fées qui s'étaient penchées sur son berceau avaient trop picolé avant d'agiter leur baguette tragique. Une enfance qui a fait ce qu'elle a pu dans un environnement où la Camarde s'est copieusement abreuvée. C'est à se demander comment il a fait pour pousser tandis que ses tuteurs tombaient les uns après les autres. Se haussant vainement sur la pointe des pieds pour atteindre le soleil, c'est la lune qu'il trouvera et son univers noctambule peuplé de Lilith. Point de photosynthèse. Juste la lumière blafarde des néons et des âmes errantes. Beaucoup de morts, et autant de vivants qui ne le sont qu'à peine. De la noirceur, certes, mais d'une beauté à couper le souffle au couteau de survie.
Son père parti soudainement pour d'autres cieux à l'âge de 56 ans, c'est maintenant à Pascal Depresle d'atteindre cet âge fatidique. Après, ce sera l'inconnu. Alors, il y a urgence à s'affranchir sur papier de cette charge mentale refoulée une vie durant. Une vie dense comme dix. Des fois que la mort lui chercherait des poux. Et ça se sent. Une écriture impérative, introspective, qui explore avec soin les coins et recoins où se cachent les souvenirs plus ou moins avouables. Mais il faut que ça sorte plus que ça ne suinte, il faut ouvrir les portes et laisser crier les plaintes. C'est le prix à payer pour enrayer le destin. Avec les mots pour le dire comme une frontale dans la gueule, et de la poésie éparpillée tout autour pour combler les espaces entre les mots et suggérer ce qui ne peut se dire de visu. Si l'écriture de Pascal Depresle est indiscutablement thérapeutique, c'est de l'alchimie organique entre les mains, une oeuvre au noir qui te fond le plomb comme au sortir d'un canon de Famas, te fait sentir le souffle du soufre, tandis que s'écoule le vif-argent qui te plantera un pal en or en plein coeur.
Dans J'ai encore trop traîné sous la pluie, il n'est toujours pas question de genoux écorchés, si ce n'est de ceux de la petite merdeuse qui "respire fort du nez entre le nombril et les genoux". Les ellipses laissées vacantes du premier tome s'emplissent de flash-backs nécessaires, et l'on comprend pourquoi il aura fallu deux séances pour que ça sorte. L'enfant que l'adulte accepte de regarder droit dans les yeux est maintenant adolescent et son père ne lui tient plus la main depuis qu'il a endossé son dernier costard d'allongé. Cet enfant qui traverse les scolarités comme on saute plusieurs cases à la marelle a en effet des facilités. HP comme on dirait aujourd'hui. Haut potentiel qui va peu à peu virer à la sauce hôpital psychiatrique, à force de deuils, en ne passant jamais par la case paradis. Il y a arnaque, le futur n'a pas tenu ses promesses. Les poubelles d'abord pour y trouver de quoi survivre, puis le michetonnage au boulevard des Maréchaux qui rémunère plus et où l'on se retrouve avec les frangines de tapin dont la rêveuse Myriam que l'on retrouvera un matin overdosée entre deux poubelles. Enfin, l'armée des opérations secrètes, commandos de la mort, la légion. La faucheuse paie encore mieux, mais à quel prix! Un premier mort sur la conscience, un enfant de 17 ans qu'il plombe parce que c'était lui ou moi, et qui agonise la peur au ventre qu'il a ouvert et tente maladroitement de contenir, au mourir de ses jeunes jours. Un enfant qui le hantera jusqu'à ce qu'il jette l'encre. Un enfant qui déterminera sa désertion quelques temps plus tard. Déshonoré par l'armée de plein gré, il retournera à la vie civile, et l'on voyagera avec lui au travers de ses amitiés, de ses tendresses, de ses errances, de ses compagnons à deux ou quatre pattes, avec quelques plongées dans ses amours et ses injustices d'école, au long de ses phrases enceintes de poésie, avec des mots pourtant simples. Une écriture comme celle de ses mentors René Fallet, Bernard Giraudeau, Frédéric Dard et évidemment Richard Bohringer qui lui a légué gracieusement le titre de l'ouvrage. Et Gainsbourg aussi.
A 56 ans, et avec ses abcès vidés à la pointe de la plume, le constat posé qu'il "nous reste cette drôle de sensation de ne pas toujours avoir vu le bonheur au moment où il nous souriait", Pascal Depresle semble apaisé, dans son repaire creusois des Combrailles, parmi ses animaux. Il peut désormais envisager la contemplation, regarder le temps passer plutôt que d'être regardé par le temps, et reprendre enfin son enfance là où elle s'était arrêtée.
J'ai ENCORE trop traîné sous la pluie | Herve-editions
Pascal Depresle nous invite à repointer notre nez dehors, alors qu'il tombe des cordes.Une pluie fine et intense.Si l'on s'aventure à sortir, il faut vite avancer de peur d'être trop mouillé pa...
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