5 Juillet 2022
Comment les idées s'ordonnent-elles dans la tête d'un humain capable en l'espace de cinq ans d'atteindre les deux pôles terrestres en solitaire et sans communication avec l'extérieur, et de grimper au sommet de l'Everest ? C'est en substance ce qui attise la curiosité d'ouvrir cette Petite philosophie pour explorateurs polaires, un livre d'explorateur à l'ancienne, Erling Kagge, qui se trouve être aussi éditeur, écrivain, collectionneur d'art et avocat d'affaires, mais aussi un ouvrage qui permet à travers les propres mots de l'auteur de toucher du doigt la façon d'accommoder l'ordinaire de petites pincées d'exceptionnel pour faire de sa vie une aventure. L'aventure, ce n'est pas seulement une confrontation de l'homme seul face aux éléments naturels, c'est aussi et surtout l'aventure moderne qui voit tout un chacun devoir faire face aux défis du quotidien en fonction des cartes que le vie a distribuées. Comment ouvrir une maison d'édition et devenir écrivain lorsque l'on est né dyslexique ? Comment trouver sa voie intérieure, celle qui fait que l'on devient ce que l'on est au lieu d'arpenter les autoroutes proposées par la société, l'école ou la famille ? Comment devenir plus courageux ? Comment s'accommoder de la contrainte pour y dénicher des degrés de liberté suffisants pour conduire au bonheur ? Et surtout, comment apprendre à placer avec précision le curseur entre persévérance et renoncement ? Depuis sa Norvège natale, Erling Kagge apporte quelques éléments de réponse.
Contrairement à ce que son titre pourrait laisser penser, Petite philosophie pour les explorateurs polaires n'est un ouvrage destiné aux tenants d'un mode de vie de l'extrême. Il s'adresse résolument à tout le monde, car - clin d'oeil - il s'agit avant tout d'explorer son pôle intérieur. C'est-à-dire d'alimenter son tropisme, une qualité partagée par tou.te.s. Et quoi qu'il en soit, cette exploration va nécessiter des doses de courage, de dénuement, de solitude, de peurs, qui vont amener chacun à devoir bien se connaître. Erling Kagge était destiné à la fonction juridique. Ayant exercé plusieurs années le métier d'avocat au sortir de ses études, il aurait pu connaître une carrière sûre et rassurante financièrement, pour lui-même et pour son entourage. "Il est si facile d'adorer les mauvais dieux. Cela ferait du bien à la plupart d'entre nous d'envisager au moins de temps en temps des alternatives à toutes les impasses où notre quête de faire carrière nous a conduits." Mais il a préféré écouter sa petite voix intérieure et quitter contre toute attente la proie pour l'ombre en chaussant des bottes d'alpiniste pour aller affronter les mythiques pôles terrestres ainsi que l'Everest - et devenir ainsi le premier homme à avoir conquis les trois pôles.
Chemin faisant, il a appris le courage. Celui de s'extraire de son sac de couchage quand à l'extérieur le thermomètre affiche -50°C. Mais selon lui, ce type de courage est moindre que celui d'une prostituée arpentant "les rues d'Oslo en minijupe par -20°C et dans le vent, pour ensuite monter des voitures au hasard et s'abandonner à des hommes inconnus", tant il est "plus facile d'être courageux sous le feu des projecteurs que [...] loin des regards de quiconque."
Chemin continuant, il a aussi appris que le fait d'affronter les difficultés plutôt que de répondre à l'appel de la facilité était fertile de sens, que ce sens est une cible mobile, que l'accident n'est pas souvent là où on l'on voit le danger, que la solitude recèle un potentiel puisqu'en réalité "tous les êtres humains sont solitaires" et que le bonheur répond souvent à l'appel lorsque l'on s'inscrit dans une sobriété heureuse. Petit détail insignifiant mais amusant: tout comme Etienne Davodeau dans Le droit du sol, Erling Kagge a aussi connu une épiphanie à base d'abricots dégustés dans le cadre d'une longue marche en solitaire vers le pôle sud.
En fin de compte, pour l'auteur, chacun a des possibilités de vivre une aventure qui ne s'arrête jamais, la conquête de soi, un objectif cédant sa place à un autre en fonction de l'endroit où l'on se trouve dans sa vie et des prises de conscience que l'on a faites, à condition évidemment de bien se connaître. Et quoi de mieux pour bien se connaître que de se mesurer régulièrement au réel ?
Petite philosophie pour explorateurs polaires de Erling Kagge - Editions Flammarion
Petite philosophie pour explorateurs polaires : présentation du livre de Erling Kagge publié aux Editions Flammarion. " Il peut sembler inconfortable voire risqué de redéfinir les limites de so...
https://editions.flammarion.com/petite-philosophie-pour-explorateurs-polaires/9782081522091