23 Juin 2022
Tout part d'un signe.
Sur les murs de la grotte de Pech Merle dans le Lot, se trouvent des peintures rupestres de mammouths et les fameux "chevaux ponctués". Vieilles de 22.000 ans pour les unes et de 29.000 ans pour les autres selon l'expertise des paléontologues, ces réalisations figurent parmi les plus anciennes représentations humaines. Et à ce jour, il est très hasardeux d'essayer d'en extrapoler quoi que ce soit de l'ordre du symbolique de la psyché ne nos ancêtres lointains.
A Bure, en Meuse, avec le projet d'enfouissement des déchets radioactifs de la production d'énergie issue de la fission nucléaire se pose la question de leur sécurisation et de l'accompagnement sur des périodes allant jusqu'à plusieurs centaines de milliers d'années. Les humains de ce futur très lointain n'auront probablement plus grand chose à voir avec les contemporains de la création du site de Bure, nos signes écrits et nos symboles seront peut-être leurs peintures rupestres à eux. Néanmoins, la gestion de cette radioactivité, fruit de nos besoins irraisonnés en énergie, sera leur héritage prométhéen.
Etienne Davodeau part du principe que "depuis Sigmund Freud, on le sait avec certitude, le refoulé remonte toujours", et de l'analogie que "Bure c'est l'inconscient de la planète", pour tracer un parallèle entre Pech Merle et Bure. Et sa vocation de dessinateur va lui faire réaliser l'été 2020 un projet poétique fou: tracer à pied une ligne de 800 km qui va de la caverne des anciens à celle des ingénieurs physiciens. et retranscrire en bande dessinée ce périple contemplatif et initiatique. Cela donnera Le droit du sol, publié en octobre 2021. Quand on vous dit que la poésie est une substance active!
Comme le suggère la symbolique du livre Le droit du sol, le chemin du militantisme écologique est un chemin solitaire, loin des autoroutes qui balafrent les forêts, des technologies contre-nature et de la vitesse standardisée de la civilisation. C'est un chemin à contre-courant ou à contre-sens pour reprendre une image sémiologique. A rebrousse-poil. Qui provoque au mieux l'incompréhension mi-amusée mi-admirative comme celle de ces randonneurs pèlerins qui font le chemin de Compostelle dans la direction opposée à la sienne. Ou au pire les morsures des chiens de défense. Un chemin poétique en quelque sorte, puisqu'il permet d'apprécier le goût orgasmique d'abricots tant attendus dégustés les pieds dans une rivière, de contempler le spectacle qui ouvre sur l'ailleurs d'une Voie Lactée dans un univers morvandiau dépourvu de pollution lumineuse, et de vivre le vertige de l'espace, de l'herbe et du silence à perte de vue. Des prises d'inconscience par les émotions et le corps, toute cognition éteinte. Et l'expérience de la solidarité humaine quand les riverains offrent l'eau, le couvert ou le gîte en échange d'une conversation.
Les lect.rices.eurs ont également l'occasion de rencontrer quelques figures de la connaissance ou du combat. Comme Ariane de la Chapelle, responsable des recherches appliquées au département des arts graphiques du Louvre venue parler de longévité des supports. Comme Valérie Brunetière, sémiologue et enseignante en sciences du langage qui "analyse les discours verbaux et non verbaux en lien avec des problèmes tels que le changement climatique et les politiques énergétiques." Comme Michel Labat, ancien élu et opposant à l'enfouissement des déchets radioactifs. Comme Joël Domenjoud, zadiste historique à Bure. Comme Bernard Laponche, ancien docteur en sciences physiques des réacteurs nucléaires, et ingénieur retraité au Commissariat à l'Energie Atomique, témoin de premier ordre et opposant au projet de Bure. Comme Marc Dufumier ingénieur agronome retraité et ancien enseignant à AgroParisTech qui "explore avec rigueur et clarté les liens qui unissent les hommes à cette planète". Chacune de ces rencontres nous renseigne sur l'une ou l'autre des problématiques en lien avec le projet d'enfouissement. Et comme ce livre est partisan (et assumé comme tel), la parole n'est pas donnée à la partie adverse parce qu'ils "ont l'argent, la justice et la police avec eux, ça va bien!"
Bien qu'à titre personnel je me situe dans un entre-deux motivé par la politique du moins pire - le nucléaire est la source d'énergie qui répond le mieux aux besoins industriels tout en n'aggravant pas le problème urgentissime du réchauffement climatique d'origine anthropique - je comprends très bien la motivation dans Le droit du sol. Comme Aurélien Barrau, je considère que le problème n'est pas la source d'énergie mais la façon dont elle est utilisée. En principe, nous n'avons pas besoin d'autant d'énergie pour accéder au bonheur. Comme Etienne Davodeau le vit plusieurs fois à travers son périple, les meilleurs moments d'épiphanie sont low tech. Mais, dans une approche systémique des choses, Bure n'est que l'un des symptômes de la maladie industrielle et technologique, dans laquelle l'écrasante majorité de l'humanité est embarquée dans un consentement non éclairé. Le combat est clairement inégal. Pour l'instant, le militantisme est écrasé par les forces de répression, mais à la fin, c'est la physique, la chimie et la biologie qui l'emportent. Les politiques finiront-ils par enfin donner le poids et la mesure à la parole scientifique ?
Pour le récit, le message, la poésie et la beauté du dessin, je recommande donc très fortement ce magnifique Droit du sol.
En juin 2019, Étienne Davodeau entreprend, à pied et sac au dos, un périple de 800 km, entre la grotte de Pech Merle et Bure. Des peintures rupestres, trésors de l'humanité encore protégés a...
https://www.futuropolis.fr/9782754829212/le-droit-du-sol.html