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Nina Bouraoui - Satisfaction

Satisfaction est un roman de Nina Bouraoui, publié en 2021, qui se présente comme les sept cahiers d'un journal intime d'une femme expatriée en Algérie depuis 1962, Michèle, en raison de son mariage avec Brahim Akli. L'histoire se déroule en 1978 dans un contexte politique incertain où la laïcité de l'ancienne colonie française cède peu à peu le pas au rigorisme religieux, notamment sous l'influence de l'Iran lointain, et où les couples mixtes sont considérés comme suspects. La grande histoire algérienne est le décor dans lequel évolue Michèle, femme au foyer en charge d'élever le fils unique du couple, Erwann, un gentil garçon à la masculinité peu affirmée, et qui au-delà de cette responsabilité et des charges domestiques qui occupent ses journées doit trouver un sens à son existence. Cette femme s'ennuie dans sa vie, mais aussi de plus en plus dans son couple usé par le quotidien, par la répétition, par la gentillesse résignée de Brahim, par le désir qui prend doucement mais fermement congé de son corps.

Ce monde va un jour de rentrée des classes se trouver bousculé quand Erwann fait la connaissance d'une fille de sa classe dont il deviendra inséparable, une garçonne qui, elle, n'hésite pas à se montrer dominante et qui inverse les rôles au point de se faire appeler Bruce, en référence à son idole, l'acteur d'arts martiaux Bruce Lee, dont elle reprend les attitudes et sur qui elle calque son rapport aux autres. Bruce est la fille d'une autre expatriée française, Catherine, mariée à Amar, un entrepreneur globe trotter, et qui habite dans l'immeuble Shell qui surplombe la ville. Dans l'Algérie patriarcale de 1978, cette inversion des rôles est potentiellement problématique. Pour Michèle, Bruce devient une obsession et elle va désormais meubler son ennui pour échafauder des plans pour séparer les deux enfants et laisser la possibilité à Erwann de s'extirper de cette féminité qu'elle juge inacceptable. C'est dans ce contexte qu'elle fait elle-même la connaissance de Catherine, pour qui elle éprouve une répulsion immédiate qui va peu à peu se transformer en attirance magnétique et alimenter ses fantasmes. Michèle va ainsi remplacer le désir éteint pour son mari par un désir moins avouable pour Catherine, et le seul témoin muet de cette tempête intérieure sera le journal intime. Car dans les faits, Michèle est une femme velléitaire, à l'imagination fertile, qui échafaude des scénarios dont jamais aucun n'aboutit, et qui vit dans la jalousie de sa meilleure rivale qui, elle, ne se prive pas de vivre des aventures extra-conjugales.

Satisfaction est un roman-photo sans photos qui explore à la fois la psyché humaine d'une femme plongée dans un contexte personnel et politique très particulier. Il est question d'usure du couple, de croyances auto-limitantes, de fantasmes sans passage à l'acte. Quelques éléments semés ici ou là font ressentir une menace sur les deux couples mixtes qui s'installe insidieusement, comme cet homme qui suit Michèle, la maison qu'elle retrouve toutes portes ouvertes, les inscriptions à la craie sur la porte, prélude à la guerre civile qui viendra dans les années 1990. C'est un roman antinomique puisque le personnage principal de l'histoire est l'insatisfaction, cette frustration qui prend l'imagination en otage. Comme dans le succès des Rolling Stones.

J'ai personnellement beaucoup aimé ce livre, l'écriture profonde et nuancée de Nina Bouraoui. J'y ai retrouvé un peu de cette inaction du Désert des tartares de Buzzatti, mâtinée d'une pincée de la série Desperate Housewives. J'ai aimé me plonger dans les stratégies machiavéliques de Michèle pour séparer son fils d'une Bruce diabolisée - nuisance alimentée par la frustration et le mal-être, une femme imparfaite qui eut pu être heureuse dans un autre contexte. J'ai aimé voyagé en sens inverse du flux migratoire historique, dans cette Algérie de l'entre-deux, post-coloniale. J'ai aimé être transporté par cette écriture sensuelle, qui souffle le vent chaud et les parfums, dans ce gynécée où chacune cherche la meilleure stratégie pour tromper son ennui, quitte à tromper son mari, et où règne un désir sous cloche qui transpire à chaque page, en même temps que le sentiment d'un immense gâchis vis-à-vis de ces corps faits pour vibrer mais au feu mouché par les conventions morales d'un lieu et d'une époque.

Nina Bouraoui - Satisfaction
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