Bernardo Kastrup - Donner un sens à l'absurde

J'ai découvert Bernardo Kastrup à travers plusieurs entretiens sur des chaînes web et j'ai été assez impressionné par la qualité de ses raisonnements qui mélangent philosophie, physique et intelligence artificielle afin de tenter de décrire la réalité et la conscience. Il fait partie de ces personnes comme Donald Hoffmann (voir The Case Against Reality) que l'on classe dans le courant philosophique de l'idéalisme analytique qui propose de s'orienter vers un nouveau paradigme autour de la notion de conscience, où celle-ci serait fondamentale, où elle serait le socle de la physique matérialiste et de l'espace-temps, et ni plus ni moins, de la réalité. Dans cette approche de l'ontologie, la réalité que nous qualifions d'objective est assimilée à un rêve partagé. Cela n'est pas sans rappeler la cosmogonie aborigène et leur concept de Temps du rêve qui serait à l'origine de tout ce qui est : la réalité ultime.

Il se trouve que l'un des membres de l'association AnHomalies présidée par le psychologue Renaud Evrard, et dont je suis également membre fondateur, vient de traduire le premier livre de Bernardo Kastrup intitulé Meaning in Absurdity. Il s'agit du psychologue doctorant Etienne Artru. Le titre de ce livre en français est Donner un sens à l'absurde. Deux bonnes raisons pour moi de le lire donc !

Partant du constat qu'il existe des zones d'absurdité dans ce que nous appelons la réalité (lumières de Hessdalen, apparitions d'ovnis corroborées par des enregistrements radar, enlèvements extra-terrestres, apparitions d'êtres tout droit sortis du folklore) que l'on pourrait tout aussi bien assimiler à des anomalies, Bernardo Kastrup tente de prouver à travers les outils de la réflexion et de la philosophie que le modèle consensuel descriptif de la réalité est incomplet. Pour cela, il ira jusqu'à remettre en question l'outil numéro un du raisonnement: la logique. Partant du constat que la bivalence (une affirmation est soit vraie, soit fausse) qui constitue la fondation même de la logique est incomplète puisque certaines affirmations paradoxales peuvent être à la fois vraies et fausses (de type "Cette affirmation n'est pas vraie") et que chaque théorie mathématique est par nature incomplète (s'appuyant sur les travaux de Gödel), il va construire un espace de réflexion à travers une approche trivalente de la logique. Il va poser qu'il existe deux types de réalités objectives: l'une est faible et consensuelle, c'est la réalité observable et mesurable; l'autre est forte et inaccessible, c'est celle de ce qui continue d'exister même quand on ne l'observe pas. Citant le comportement des particules élémentaires selon la théorie de la physique quantique, ou encore les propriétés émergentes de colonies de fourmis capables de résoudre des problèmes complexes insolubles à l'échelle individuelle, explorant l'univers des archétypes et l'inconscient collectif de Carl Jung, il va établir une cosmologie de l'absurde qui trouve ses bases dans l'informe et conduit à la manifestation de l'absurde au coeur même de la réalité de tout un chacun.

Je dois bien avouer que je n'ai pas tout compris dans le détail, certains raisonnements poussent les lect.rices.eurs très loin hors de la zone de confort. Je retiens surtout que ce livre à vocation exploratoire est à lire et relire (comme souvent en matière de livres de philosophie) pour en tirer la substantifique moelle, et que Bernardo Kastrup est un esprit à suivre, ne serait-ce que par son audace à sortir des sentiers battus de la pensée.