Steven Laureys - L'expérience de mort imminente

Le monde des expériences de mort imminente est globalement scindé en deux communautés principales antagonistes: les croyants et les sceptiques. Les croyants sont caricaturés comme des personnes crédules, pour qui aucune preuve n'est nécessaire, et pour qui l'EMI est une expérience qui décrit une réalité différente mais néanmoins objective. Les sceptiques sont ceux de l'autre camp, caricaturés comme drapés d'une version étriquée de la science, qui clament que puisque ça ne peut pas exister ergo ça n'existe pas, et pour qui aucune preuve n'est suffisante. Les croyants accumulent des témoignages et voient des données dans la quantité, tandis que les sceptiques y voient plutôt la volonté de ne pas regarder la réalité en face, une réalité intégralement matérielle et nihiliste. Entre ces deux communautés, rares sont celles et ceux qui se risquent à embrasser les deux visions, à essayer de saisir le meilleur des deux mondes. Le professeur et chercheur en neurologie du cerveau Steven Laureys est de ceux-là.

Formé sur les bancs de l'Université Libre de Bruxelles et à la méthode scientifique, il s'intéresse très tôt à la conscience, d'abord aux états limites (coma, AVC, fin de vie), puis aux états altérés et modifiés de conscience, non seulement du point extérieur du chercheur qui manipule les appareils de mesure, mais également du point de vue subjectif de l'expérienceur. Que ressent-on quand on prend un psychédélique ? Quand on médite ? Quand on entre en transe cognitive ? Quand on s'empêche de dormir pendant plusieurs jours ? Ou plus simplement quand on perd conscience ? Il y a un peu de Timothy Leary en lui dans cette volonté de voir la conscience des deux côtés de la lorgnette. C'est peut-être cette double approche qui lui permet de conserver une ouverture d'esprit suffisante pour accueillir les témoignages des uns et des autres sans entrer dans le jugement de valeur. Et qui lui permet peut-être aussi d'aller assez efficacement dans ses recherches et de publier plus de 1.000 articles scientifiques en une trentaine d'années, faisant de lui une figure phare de la recherche sur la conscience au niveau mondial. Fort de cette renommée, il s'attaque aussi de front à des thématiques qui sont habituellement laissées de côté par ses confrères avec la volonté de les considérer comme des sujets sérieux: la méditation, la transe cognitive, les sorties hors du corps, les substances psychédéliques et les expériences de mort imminente.

Et cela marche. Avec le COMA Science Group qu'il a fondé en 2006, et disposant de moyens financiers et de technologies avancées pour faire de la recherche sérieusement, il a non seulement permis de légitimer la méditation jusque là considérée comme une pratique new age en constatant les effets réels que cette pratique a sur le cerveau. Il a également légitimé la transe cognitive en travaillant avec Corinne Sombrun, de sorte qu'à l'heure actuelle, il existe un module sur ce sujet enseigné en licence universitaire. Et avec son équipe, il est celui qui publie le plus sur les expériences de mort imminente, au sujet desquelles il vient de signer un livre, L'expérience de mort imminente, paru en avril 2025 chez Odile Jacob.

Autant le dire tout de suite, cet ouvrage m'a réjoui, essentiellement parce que j'y ai trouvé un sens de la nuance qui fait bien souvent défaut aux croyants comme aux sceptiques. Il y a la rigueur scientifique, la prudence, et le discernement, mais aussi l'humanité, la curiosité et l'ouverture d'esprit qui transpirent entre les lignes. Comme il l'admet lui-même, il a beaucoup évolué. "En tant que neurologue, je me concentrais exclusivement sur le cerveau. Toutefois, bien qu'il y ait beaucoup de pseudo-explications en dehors de la neurologie, on ne peut simplement supposer que la conscience réside uniquement dans le cerveau. En matière de conscience, nous ne disposons pas encore d'une théorie globale. Tant que nous ne l'aurons pas, nous, neuroscientifiques, devons éviter toute arrogance." A propos de la science, il ajoute que "Si vous êtes un scientifique rigoureux et tenez à ce que tout soit mesurable, vous devez faire attention à ne pas traiter la science elle-même comme une religion." Voilà un langage qui me plaît. C'est exactement comme cela que j'envisage la recherche scientifique, avec humilité, avec la reconnaissance que les points aveugles sont bien plus nombreux que le connu. Mais Steven Laureys applique ce même principe de non dogmatisme à l'égard des croyants comme Raymond Moody à qui il reproche d'établir un lien entre EMI et survie de la conscience après la mort. Et cette approche prudente me semble salutaire.

L'expérience de mort imminente aborde le sujet sous différents angles et dans le détail: l'histoire, l'anatomie, les différentes façons connues d'accéder à cet état (il n'est par exemple pas nécessaire d'être réellement en danger de mort), les étapes de cette expérience qui ne correspondent pas forcément au récit que nous en avons à travers la vision hollywoodienne classique, les aspects positifs et négatifs, les aspects transformateurs. En revanche, il fait l'impasse sur les EMI partagées et selon lui, aucune perception véridique n'a jamais été corroborée dans un contexte véritablement contrôlé. Si c'était le cas, ce serait le modèle complet de la conscience qu'il faudrait revoir et pour le coup, il applique les paroles de Carl Sagan pour qui une affirmation extraordinaire nécessite des preuves extraordinaires.

Globalement, ce livre respire la vie et une authentique curiosité. Pour la petite histoire, lors de sa naissance, sa mère a fait une expérience de mort imminente dont elle ne lui a parlé que bien des années plus tard. N'y a-t-il pas là quelque chose du destin dans un parcours qui débute de cette manière ?