Evelyne Josse est une psychologue clinicienne qui exerce en tant que psychothérapeute à Metz et chargée de cours à l'Université de Lorraine. Spécialisée en EMDR et en hypnose ericksonienne, et réalisant que les morts s'invitent dans les séances d'hypnose avec "des effets thérapeutiques souvent époustouflants", elle développe sa propre spécialité d'EMDR où elle invite les patients à "solliciter l'aide de leurs chers disparus". Ce mélange des genres est assez novateur, seule une équipe américaine, celle d'Allan Botkin, partant du même constat chez les vétérans de la guerre du Viet-Nam s'était lancée dans ce type d'approche thérapeutique à partir de 1995. Cette découverte l'amène à s'intéresser plus en profondeur à la conscience, et en particulier à ces expériences subjectives auxquelles relativement peu de scientifiques s'intéressent du fait de leur caractère élusif, rare et sensible. Et peu à peu, celle qui se définit comme une matérialiste de formation s'ouvre à la possibilité que la matière - avec son espace-temps sous-jacent - ne soit pas le socle fondamental du réel. C'est ainsi que par deux fois, en collaboration avec la praticienne en thérapies transpersonnelles Martine Struzik, elle met à contribution une vingtaine de co-aut.rices.eurs pour publier aux éditions Guy Trédaniel un ouvrage collectif intitulé Les dimensions invisibles de la conscience, ouvrage initialement distribué dans des versions légèrement différentes dans le cadre des deuxième et troisième éditions 2022 et 2024 d'un colloque quasiment éponyme Le deuil et les dimensions invisibles de la conscience.
L'avantage d'une approche d'un sujet en collectif est qu'il propose de multiples grilles de lecture, un peu comme les aveugles face à l'éléphant. Ici, chacun traite la question selon sa spécialité et ses compétences, et le moins que l'on puisse dire est que le niveau est élevé. Dans l'édition que je chronique ici, les intervenants sont :
- Le journaliste tête d'affiche Stéphane Allix, pour une courte préface
- Jean Staune (qui n'est étrangement pas cité sur la couverture), l'infatigable chercheur diplômé multiple, en informatique, paléontologie humaine et philosophie des sciences (miagiste comme moi, mais la comparaison s'arrête là) qui propose un état des lieux de nos connaissances sur la nature de la conscience, citant notamment les très intéressantes expériences de Benjamin Libet sur la prise de décision et sur le véto, les témoignages recueillis par Laurent Kasprowicz, et ouvrant sur la possibilité d'une conscience non neuronale.
- Le journaliste scientifique, auteur et traducteur, Jocelin Morisson, qui expose dans un essai court mais dense le panorama scientifique qui évolue autour de la notion d'observateur, primordiale en physique quantique, citant la théorie de l'agent conscient de Donald Hoffmann, l'auteur de The Case Against Reality; la théorie de décohérence quantique mise en évidence de façon expérimentale par le physicien Serge Haroche, prix Nobel 2012 de physique, et qui en principe permet de se passer de cette notion d'observateur pour la remplacer par celles d'interactions et de densité; le bayésanisme quantique et le Qbisme; et la notion n'âme du monde, comme une sorte d'attracteur téléologique pouvant parfois interagir physiquement dans la matière avec des individus conscients pour contribuer à l'accomplissement de leur mission.
- Cyrille Champagne, psychopraticien et hypnologue, qui expose les notions de moi et de non-moi qui font le terreau des théories matérialistes d'une conscience produite par le corps adoptant de facto ses contours et ses limites, et qui explore d'autres théories non-duelles de la conscience à travers les EMC (états modifiés de conscience), où la frontière entre sujet et objet est non seulement poreuse mais pourrait être purement et simplement une illusion.
- Miriam Gablier, diplômée en philosophie et actuellement doctorante sous la direction de Renaud Evrard, auteure de plusieurs ouvrages sur la conscience déjà chroniqués ici (Les mystères de la conscience - 2022, Un corps extraordinaire - 2023), qui nous invite à nous plonger dans les modèles philosophiques qui soutiennent l'idée de survie de la conscience après la mort, comme celui de "moi subliminal", une notion à laquelle j'accorde un crédit certain, et qui ont un impact sur la nature du binôme corps/esprit qu'elle avait déjà largement exploré dans son ouvrage de 2022.
- Le journaliste et auteur, notamment de La source noire, Patrice van Eersel, qui propose un historique des expériences de mort imminente (EMI) et documente les avancées de la compréhension de ce type d'expériences de conscience modifiée avec les implications possibles sur notre compréhension du réel.
- Le chamane Laurent Huguelit, qui décrit le concept de la non-mort dans le bouddhisme, son histoire, et la façon dont il peut être mis en pratique à travers la méditation qui dans son acception originale est une pratique destinée à dissoudre les agrégats matériels tels que les mémoires et les conditionnements afin d'accéder à la libération de l'illusion de la séparation.
- Evelyn Elsaesser, chercheuse et auteure, que j'ai eu l'opportunité d'écouter lors d'une conférence en suisse l'année passée, qui entre dans les détails de son sujet de recherche: les vécus subjectifs de contact avec un défunt ou VSCD (un sujet connexe de celui des EMI) où des personnes témoignent d'apparitions de personnes décédées proches, généralement dans des délais assez courts après leur décès. Ce sujet est relativement peu connu alors qu'il semble être vécu par 60% de la population générale ! Elle développe ensuite sur la façon dont les théories matérialistes et post-matérialistes permettent d'apporter des éléments de compréhension à ces expériences.
- Le psychologue clinicien, enseignant chercheur et maître de conférence Renaud Evrard et sa doctorante Maryne Mutis dont le sujet de thèse explore un autre type d'expériences peu connues: la lucidité terminale. Ces expériences touchent des personnes en toute fin de vie, dont certaines sont plongées dans un état d'inconscience depuis longtemps, tandis que d'autres sont au stade ultime de la maladie Alzheimer, la plupart étant au minimum dans un état psychophysique très affaibli ou dans un déficit cognitif extrême. Or il apparaît que peu de temps avant leur trépas, quelques heures ou jours, ces personnes retrouvent un niveau conversationnel proche de la normale, qui leur permet de rétablir une communication depuis longtemps perdue. Cette fenêtre de normalité dure entre quelques minutes et quelques jours, et il est en l'état actuel des connaissances difficile d'expliquer comment cet épisode survient, surtout chez les malades d'Alzheimer dont le cerveau est physiquement endommagé au point que les fonctions cérébrales sont en principe lésées au-delà de l'inutilisable. Peut-être faut-il chercher des explications dans des théories qui font appel à des modèles de la conscience non matériels ?
- Pascale Seys, docteure et enseignante en philosophie, productrice d'émissions de radio pour la RTBF, qui nous parle à un niveau assez académique de la place qu'occupent les morts dans la conscience des vivants du deuil, citant Jean d'Ormesson, Delphine Horvilleur ou encore Vinciane Despret.
- Richard Moss, docteur en médecine, qui est un peu la touche américaine de ce recueil collectif et qui, après une expérience supposément d'illumination, a consacré les dernières 50 années de sa vie à accompagner les gens dans une recherche personnelle sur la conscience. C'est l'intervention que j'apprécie le moins, tant elle correspond à la culture du story telling et s'inscrit dans le courant New Age qui me donne des boutons.
- Antoine Bioy, professeur de psychologie clinique et de psychopathologie, qui aborde la question de la spiritualité sous-jacente aux expériences de conscience mystiques telles que la transe qu'il qualifie d'invisible agissante, une expression qui me parle énormément, et que j'associe volontiers à la libido définie par Carl Jung (qui n'a rien à voir avec la seule énergie sexuelle où Sigmund Freud l'a cantonnée).
- Stephan Schillinger, qui a eu une vie dans la finance en Suisse avant de tout lâcher pour se reconvertir dans l'exploration de soi à travers les plantes maîtresses, et dont l'essai porte sur les substances enthéogènes et les expériences mystiques, et leurs nombreux bienfaits dans la connaissance de soi et face à la "dérive civilisationnelle en cours".
- Lee Pascoe, une hypnothérapeute australienne spécialisée dans la régression supposée vers des vies antérieures, qui explique en quoi son approche basée sur l'entre-deux-vies permet parfois aux patients en consultation de retrouver un sens à leur vie. Pour ma part, je ne suis pas particulièrement convaincu sur le principe de l'hypnose régressive pour accéder à de l'information passée véridique. En revanche, j'accepte le fait que ce soit une occasion pour le cerveau de construire un récit alternatif face à une expérience de vie difficile. Sous cet angle, l'expérience est possiblement vectrice de sens.
- Catherine Roumanoff, hypnothérapeute spécialisée en PNL, qui investit également le territoire des vies antérieures pour faire revivre des événements traumatiques ayant un impact fort sur la vie en cours dans l'intention d'en faire une ré-solution, c'est-à-dire d'en désamorcer le potentiel traumatique. C'est la karmathérapie qui se place d'après un sondage Psychologies Magazine de 2015 au troisième rang des thérapies alternatives. A titre d'exemple, une femme qui en régression se voit mourir en couches pour la naissance de son 14ème enfant en disant qu'elle ne veut plus jamais d'enfant, va ainsi trouver du sens à sa stérilité dans sa vie actuelle. Là encore, peu importe la véracité du récit, ce qui compte est la résolution des souffrances par le supplément de sens apporté par cette réécriture fictive ou pas de l'histoire.
- Françoise Bourzat, qui, après un parcours universitaire en psychologie somatique, s'est embarquée dans l'aventure du chamanisme et des psychédéliques et qui explique comment elle aide des parents endeuillés par la perte d'un enfant à faire le deuil grâce aux substances hallucinogènes comme la psylocybine, qu'elle considère comme des portes d'accès vers de l'information invisible qui apportent du sens à ces morts qui vont contre l'ordre naturel des choses.
- Evelyne Josse, psychothérapeute, psychologue et psychotraumatologue spécialisée en EMDR, enseignante en université, qui, elle-même met la main à la pâte en parlant de l'approche qu'elle a mise au point pour aider au travail du deuil: la CAD-EMDR ou CIAD (communication induite avec les défunts), un alliage fait d'hypnose, d'EMDR et - plus insolite - de contact avec des personnes décédées. Durant les séances dont elle décrit les grandes lignes du protocole, les patients endeuillés sont plongés dans un état hypnotique qui leur donnerait accès à leurs défunts pour entrer en communication. De leur propre aveu, c'est une expérience marquante, qui semble réelle, et qui en devient authentiquement apaisante. Pour plus d'information sur cette pratique, vous pouvez consulter la conférence donnée en 2020 par Evelyne Josse dans le cadre de la première édition du forum.
- L'ethnobotaniste Romuald Leterrier, qui conclut l'ouvrage en postface en évoquant la capacité à se connecter à ce réseau informationnel invisible qui sert de fil rouge.
Les dimensions invisibles de la conscience m'a rappelé un travail comparable effectué sous la direction de Laurence Lucas Skalli dans Les états de conscience aux frontière de la mort que je recommande également pour son approche pluridisciplinaire.
Une autre édition de cet ouvrage est parue en 2022 chez SATAS avec des intervenants différents dont Vinciane Despret, Christophe Fauré, Charlotte Martial ou encore Pim van Lommel, qui étaient les invités de la deuxième édition du forum. Bien que je ne ne l'aie pas lu, je suppose qu'il est d'une teneur équivalente, qualitative et panoramique. En tous les cas, je l'ai beaucoup apprécié et je le recommande chaleureusement !