16 Décembre 2024
En 2002, le dessinateur Matthieu Blanchin est victime à l'âge de 37 ans d'une attaque cérébrale qui le plonge pendant dix jours dans le coma, aux frontières de la mort. Pour ses proches et pour le corps médical, il est désormais une coque inerte qui ne répond plus à la moindre stimulation. Pourtant, ceux-ci sont bien loin de s'imaginer la richesse incroyable de l'expérience qu'il est en train de vivre: un mélange d'images oniriques, d'hallucinations d'où semble se dégager une trame porteuse de sens, et d'une expérience au réalisme saisissant. Malgré le coma, Matthieu Blanchin "[se] perçoi[t] toujours comme un être pensant." La première évidence qui saute aux yeux, dans cet état d'inconscience très avancé, la douleur reste omniprésente ! Simplement, elle s'inscrit dans un récit essentiellement onirique mais qui prend parfois des atours d'expérience de mort imminente comme lorsqu'il se voit depuis l'extérieur en train de faire un arrêt cardiaque en service de réanimation, où encore lorsqu'il revoit des événements de sa vie de manière très précise, échange avec une entité, ne peut pas passer une frontière irréversible ou bien se retrouve à planer dans l'espace. A chaque moment, il est pris en étau entre une force d'expansion qui l'amène à l'EMI et une force de contraction qui le plonge dans le corps, la douleur et la confusion, une dichotomie qui semble être le fruit d'une séparation entre les continuités extérieures et intérieures. Si son niveau de conscience est alors intégralement placé au niveau de son rêve-cauchemar, son corps, lui, continue d'être manipulé par le personnel soignant qui voyant son état (niveau 7 sur l'échelle de Glasgow) ne prend pas particulièrement de gants pour les soins.
"Le rêve est la voie royale vers l'inconscient" disait Sigmund Freud. Matthieu Planchin, en plein bad trip, plongé au milieu de ses peurs, de ses obsessions, se voit en proie à des malfaiteurs ou à des prostituées. Mais il finit par sortir de cet état après une opération de retrait d'une tumeur au cerveau. S'ensuit un long processus de guérison alterné de cauchemars, de traitement à la dépakine, de séjours chez ses parents, d'une récidive de sa tumeur, de séances chez les médecins et d'une belle rencontre avec Didier Dumas, un psychanalyste, auteur du livre La sexualité masculine qui a l'effet d'une révélation en apportant une proposition de sens à ses tumeurs, et de façon plus générale, à ses souffrances d'adulte. Né avec une malformation aux pieds, son enfance a été marquée par la douleur consécutive aux appareillages ("une torture insoutenable") mais aussi celle du regard extérieur, des douleurs qui ont permis l'installation d'une relation déséquilibrée avec une mère surprotectrice et la mise en place pour lui d'une stratégie de défense: le costume de Monsieur-Tout-va-bien devenu une armure avec le temps. Matthieu Blanchin se remémore ce qu'une entité spirituelle lui a dit pendant qu'il était dans le coma et vivait une EMI: "Si tu es maintenu dans cette incarnation, tu pourras ouvrir les yeux sur l'étouffement de ton être, occasionné par l'étroitesse et la rigidité de ces cuirasses, toutes ces pseudo-protections dont tu t'es revêtu."
Quand vous pensiez que j'étais mort est l'histoire d'une crise qui amène à l'effondrement suivie d'une lente et chaotique reconstruction. Elle montre le rôle d'aide à la prise de conscience de l'EMI, établit le lien déterministe entre une crise et une stratégie de vie où l'être intérieur est façonné par l'environnement extérieur, et montre qu'une fois la reconnexion faite avec l'enfant intérieur, il n'y a plus de récidive. C'est aussi un ouvrage qui dépeint à quel point une EMI peut survenir dans un contexte de souffrance, loin des clichés qui en gomment l'aspect clinique, concret et douloureux pour n'en conserver qu'une version propre, aseptisée et idéalisée. Et c'est salutaire. On avait déjà pu prendre conscience de cet aspect très matériel et difficile physiquement dans La Traversée de Philippe Labro (1996), et plus récemment dans Un coup au coeur d'Emmanuelle de Boysson (2024) et Revenu de la mort de Gérard Dupeyrat (2024).
Publié chez Futuropolis en 2015, Quand vous pensiez que j'étais mort a été et conçu sur proposition du psychiatre de son auteur et dessinateur, à raison de quelques pages par an, le temps de digérer cette expérience profonde. Et c'est une réussite ! Le roman graphique documentaire qui s'empare du thème des EMI offre au grand public un type différent d'immersion dans ce type d'expériences, visuel et concret. La dimension onirique du récit est particulièrement bien dépeinte: il est parfois difficile de savoir s'il s'agit d'une hallucination ou de la réalité. Et rien que pour cela, c'est une lecture nécessaire pour les personnes qui s'intéressent à ce sujet.
Quand vous pensiez que j'étais mort
Livre Quand vous pensiez que j'étais mort de l'auteur Matthieu Blanchin. Ce livre fait partie de notre collection Albums. Description du livre Quand vous pensiez que j'étais mort sur Futuropolis.
https://www.futuropolis.fr/9782754808316/quand-vous-pensiez-que-j-etais-mort.html