22 Décembre 2024
J'ai rencontré Laurent Kasprowicz pour la première fois en 2024, lors de la première édition du festival Anomalies où je suis intervenu pour une conférence sur les expériences de mort imminente. Lui intervenait sur le phénomène des coups de fil post mortem. A cette occasion, j'avais lu son dernier livre en date Des coups de fil de l'au-delà ? où il entre dans le détail de ce phénomène particulièrement intrigant vécu par plusieurs de mes connaissances. Parmi les hypothèses explicatives présentées figure celle d'un archétype jungien: la figure du trickster définie par Carl Jung comme étant une "figure collective de l'ombre, la somme de tous les traits inférieurs de caractère des individus", un "psychologem, une structure psychique archaïque de la lointaine antiquité [...] qui correspond à un niveau psychique à peine au-dessus de celui de l'animal", un "être cosmique de nature divine-animale, d'un côté supérieure à l'homme par ses qualités superhumaines, mais aussi inférieure par son côté déraisonnable et inconscient". C'est l'être qui incarne idéalement la transgression, aux lois et aux principes humains en premier lieu, mais également - et c'est là qu'un gigantesque pas de côté est fait - aux lois de la physique. D'où sa représentation en joker, celui qui ne prend rien au sérieux, en fou du roi, comme Triboulet dépeint dans Le roi n'avait pas ri de Guillaume Meurisse (2021). Mais c'est aussi celui qui tout en incarnant la moquerie de la vanité des humains contraints à une course dans la roue de hamster de la matière - une moquerie permise par son accès à la transcendance - se fait également le protecteur de cette transcendance, notamment à travers son élusivité. Un authentique être psychique d'entre-les-mondes.
Lorsque j'ai retrouvé Laurent Kasprowicz sur le salon Livresse à Ancy-Dornot cet été, je lui ai acheté un exemplaire de Phénomènes, dans l'optique d'en apprendre un peu plus sur la façon dont cette notion de trickster se décline à travers les phénomènes paranormaux et le phénomène ovni. C'est ainsi que j'ai appris que parmi ses caractéristiques habituelles, il y a l'ostentation. On le constate notamment dans le cas des ovnis où ce type de manifestation peut être à la fois observé par plusieurs personnes (parfois plusieurs centaines comme à Phoenix en 1997) mais également enregistré par des appareils opérants sur plusieurs types et fréquences d'ondes électromagnétiques. Mais c'est aussi le cas avec ces fameux appels téléphoniques post mortem où des voix sont parfois enregistrées sur répondeur. Le phénomène se montre au grand jour dans certaines circonstances, prenant généralement tout le monde par surprise. Mais il y a aussi l'élusivité, qui est cet aspect qui fait que le phénomène - incluant le psi, le paranormal - ne se laisse pas enfermer facilement dans un laboratoire, et échappe souvent à la contrainte de reproductibilité de la démarche scientifique, ce qui renforce à juste titre les positions des sceptiques à son encontre. C'est un peu comme si le phénomène participait à sa propre décrédibilisation, parfois en communiquant de fausses informations (on peut penser aux nombreux messages obtenus en spiritisme) confinant parfois jusqu'au ridicule, parfois en se produisant dans l'environnement de personnes socialement marginales (je pense notamment à Ted Owens à qui le parapsychologue américain Jeffrey Mishlove a consacré un livre The PK Man), parfois en étant tellement hors normes que les témoins n'osent pas en parler de peur de se couvrir de ridicule (je pense aux petites fées supposément photographiées par Elizabeth Kübler-Ross ou aux cryptides, comme le sasqwatch, le sachamama ou le Mothman rapporté par John Keel), parfois en prenant la forme de technologies humaines, comme ces hélicoptères Black Hawk qui ont longtemps accompagné le phénomène ovni aux Etats-Unis et qui sèment le doute sur leur origine.
C'est là qu'intervient l'aspect mimétisme du mythe du trickster qui sait s'adapter aux croyances et technologies de son époque. A la fin du XIXème siècle, ce sont des objets volants à vapeur ou des ballons à hydrogène qui apparaissent dans le ciel. Puis ce sont les soucoupes volantes dont les caractéristiques montrent assez clairement des aspects culturels identifiés par Bertrand Méheust dans Science-fiction et soucoupes volantes (en forme de boules de lumière, d'assiettes, de cigares, de triangles selon les lieux et les périodes...). Enfin, des messages apparaissent sur des Minitel, des téléphones, des répondeurs téléphoniques, des écrans de télévision, des outils de transcommunication instrumentale, et même des capteurs dernier cri de l'armée. On peut aussi citer les fameux hommes en noir qui se manifestent parfois dans le sillage d'une observation rapprochée et qui semblent humains malgré certains détails qui trahiraient leur véritable nature.
Phénomènes explore les pistes du mythe, et en particulier ce qui concerne la notion de daïmôn qui se décline dans la quasi intégralité des civilisations et des époques. Issus de la Grèce Antique présocratique, on les retrouve dans la culture celtique (les sidhes du Tuatha Dé Danann), en Chine (ce sont les kwei-shins), dans le monde arabe (les djinns), en Scandinavie (les trolls), chez les Inuits (les auas), en Afrique de l'Ouest (les asamanukpai). De façon symbolique, ce seraient les habitants de notre inconscient, de notre zone d'ombre, une incarnation physique du retour du refoulé, l'équivalent de la matière noire pour l'univers. L'humain pourrait également les rencontrer lors des expériences de mort imminente, ou dans ces phases d'entre-deux-vies décrites par quelques enfants étudiés par Ian Stevenson et Jim B. Tucker qui racontent se souvenir non seulement de vies antérieures, mais également de ce qu'il s'est passé après leur mort et avant leur naissance. Ils seraient aussi ces "petits gris" responsables des abductions depuis les années 60.
Phénomènes offre une vision très alternative du monde, à la fois matérielle et immatérielle, objective et subjective, consciente et inconsciente, phénoménologique et nouménologique, entre immanence et transcendance, comme les deux faces d'une même pièce que seuls des archétypes comme le trickster seraient capables de traverser pour se faire médiateurs. J'aime beaucoup cette approche basée sur les mythes, sur la modélisation jungienne de la conscience et de l'inconscient collectif dans laquelle les synchronicités occupent une place de choix.
La qualité des contenus est élevée et les références, nombreuses. Phénomènes est un travail exploratoire sérieux qui propose évidemment une vision très disruptive du monde, une expérience de pensée qui m'a beaucoup séduit. Si je devais formuler une seule critique, ce serait qu'il me semble manquer une dimension fondamentale et multiple à cette vision du monde: l'Amour et ses déclinaisons en Beau, en Bien, en Vrai. Ce grand oublié n'est-il pas lui aussi vecteur de miracles, d'apparitions et de phénomènes inexpliqués ? Pour avoir beaucoup travaillé sur le thème des EMI depuis trois ans, je ne peux que constater que c'en est le message récurrent. A part cela, c'est un livre riche en enseignements, dense mais accessible, très stimulant intellectuellement, et cohérent malgré le fait qu'il soit le fruit du travail d'une dizaine d'auteurs. Bref, j'ai beaucoup aimé au point de le dévorer en une seule fois !
Phénomènes - Romuald LETERRIER, Laurent KASPROWICZ
Dix scientifiques internationaux livrent un nouveau paradigme sur les phénomènes paranormaux, pour appréhender notre rapport au réél et à l'Univers.