Le livre que je viens de finir How To Change Your Mind de Michael Pollan (2018), qui parle du renouveau des drogues psychédéliques, m'a été plus que chaleureusement recommandé par deux collègues de travail américains. Je n'aurais jamais ouvert ce livre tout seul, conditionné que je suis par le fait que les drogues, c'est mal, surtout les psychotropes, qu'elles créent de l'addiction et qu'à terme, elles transforment un être sain en être fragile. Mais l'enthousiasme de mes collègues a été contagieux et j'ai fini par répondre à l'appel de ma curiosité. Et j'ai bien fait.
J'ai appris pas mal de choses... Notamment le fait que les drogues dites psychédéliques (LSD, psylocybine/psylocine, ayahuasca, toad, mezcaline...) n'entraînent aucune addiction. Qu'un trip entraîne une dissolution de l'ego, un très fort sentiment d'interconnexion avec le reste du vivant, et la prise de conscience que l'amour est la seule chose qui existe. Que cette prise de conscience est profonde et durable. J'ai aussi découvert que la molécule de LSD a été synthétisée par les laboratoires Sandoz en 1938 et qu'il s'en est suivi des recherches à partir des années 40-50 pour trouver des champs d'application. C'est dans ce cadre qu'a eu lieu le premier trip de façon accidentelle, ce qui a permis d'orienter vers une utilisation thérapeutique de ce type de produits. Les premières applications effectuées avec succès l'ont été au sein des Alcooliques Anonymes: les tests ont montré qu'après une expérience psychédélique, un taux très élevé des membres ne voyait plus l'intérêt de toucher à la bouteille. Puis, on a élargi à la psychanalyse en partant du principe que si les rêves étaient jusqu'alors la voie royale vers l'inconscient, les visions sous psychédéliques offraient un champ d'études infiniment plus large. Je suis passionné par l'analyse des rêves et ce point me parle complètement. Ce type de psychanalyse a commencé à connaître un succès phénoménal.
Puis Timothy Leary est arrivé à Harvard en 1960 et les choses ont commencé à déraper. L'idée de départ était d'étudier plus en profondeur les effets de ces drogues sur le psychisme. Mais le plan est rapidement devenu de faire connaître la substance au plus grand nombre d'Américains pour changer la société. Cela a très bien fonctionné. En quelques années, le LSD qui était avec les champignons hallucinogènes un élément important de la contreculture beatnik est devenu un phénomène de société, chez les jeunes en particulier. L'usage initialement prévu comme support à la spiritualité est devenu récréatif. "Relax and float downstream" (repris dans une chanson des Beatles en 1966) est devenu le slogan des premiers hippies, qui ont suite à leurs expériences LSD, privilégié l'amour à la patrie. Et c'est particulièrement ce dernier point qui a signé l'arrêt de mort de la recherche scientifique sur ces drogues au milieu des sixties. Des centaines de milliers de jeunes Américains réfractaires à l'armée et aux valeurs traditionnelles protestantes, contre la guerre du Viet-Nam, c'était de l'ordre de l'inacceptable. Trop d'amour devenait dangereux. Les drogues psychédéliques ont été alors interdites.
Mais depuis les années 2010, les scientifiques s'intéressent de nouveau à ces substances pour en étudier les effets thérapeutiques. Et il s'avère que contre toutes les idées préconçues, elles sont très efficaces pour lutter contre les addictions et la dépression! L'expérience psychédélique est si profonde et réelle d'un point de vue phénoménologique, qu'elle fait complètement revoir le système de valeurs. Celui qui la vit a le sentiment de comprendre ce qu'il lui arrive, sa place dans le monde du vivant, et peut donner du sens. Un effet particulièrement intéressant est le fait qu'il n'a plus peur de la mort.
Ce dernier point me fait penser à l'effet transformateur des expériences de mort imminente. Ceux qui les ont vécues s'éloignent rapidement des valeurs liées à la réussite personnelle, matérielle, à la compétition pour se réorienter dans l'humain, dans l'entraide. Avec les psychédéliques, on fait le même constat: une seule dose suffit pour remettre en question nos priorités. C'est en quelque sorte l'équivalent chimique d'une vie de méditation, de yoga, de zen. Et la peur de la mort qui disparaît ouvre un champ énorme à une application dans le cadre des soins palliatifs. Les premiers essais sont plus que prometteurs.
Bref, ça fait du bien de remettre en question ses idées préconçues. Et tout comme mes collègues l'ont fait pour moi, je vous invite à lire ce livre, dès maintenant pour les anglophones, ou quand il sortira en version française pour les autres. Comme le disait un ami à moi qui a essayé les champignons hallucinogènes, ce type d'expérience fait se poser des grosses questions sur la nature de la conscience et de la réalité. Et n'est-ce pas là précisément la raison d'être de la spiritualité ?