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TélescoPages

Un espace dédié à la musique, à la littérature, à la science, à la conscience, et au-delà

Juan Branco - Hanouna

Juan Branco s'est spécialisé dans l'écriture de textes relativement courts et polémiques, à la limite du pamphlet, qui ont trait aux rouages et aux ramifications du pouvoir. Après avoir mis à jour les manoeuvres souterraines qui ont amené un jeune énarque à devenir président de la république française dans Crépuscule, après avoir dénoncé les réseaux intriqués de la finance, de l'industrie et de la politique dans Treize pillards, il place le projecteur sur l'une des figures majeures de la télévision depuis une quinzaine d'années, avec Hanouna. Publié le 1er juin 2023 chez Au Diable Vauvert, le livre Hanouna était attendu et bénéficiait d'un certain buzz. Il faut dire que Cyril Hanouna ne laisse pas vraiment indifférent: adulé par les uns, détesté par les autres, son succès audiovisuel ne se dément pas avec une audience quotidienne de 2 millions de téléspectateurs sur C8, sans parler des retweets et autres extraits qui rebondissent sur les réseaux sociaux.

En ce qui me concerne, n'ayant plus de télévision depuis plus de vingt ans, j'avoue être complètement passé à côté de cet animateur et de ses émissions. L'une des rares fois où j'ai assisté à Touche pas à mon poste fut lorsque j'étais hospitalisé après une opération chirurgicale. Mon voisin de chambrée d'un certain âge, qui avait la main sur la télécommande, avait décidé unilatéralement de regarder cette émission, volume à fond qui plus est. Deux jours à vivre cette expérience de la vacuité suffisent amplement pour prendre conscience du poison qu'elle peut instiller dans les esprits d'un public jeune... Ne serait-ce que par la valeur modélisante du comportement très autocentré de l'animateur, et de la cacophonie des chroniqueurs dont la sophistique frivole et insubstantielle, toujours au service de leur maître, semble être leur coeur de compétence. Il règne dans cette émission, du moins, du peu que j'ai pu en subir, une atmosphère de cour, oscillant entre cour du roi et cour de récréation. Il y a de l'enfant-roi tyranneau en Cyril Hanouna. De celui qui décide de la vie ou de la mort médiatique de ses sujets, de celui qui bannit, se moque, humilie ou félicite, traite avec condescendance, juge, se sachant lui-même intouchable.

Cette émission repose sur les réseaux sociaux, et des extraits me sont régulièrement présentés. C'est ainsi que je suis allé voir le zététicien Thomas Durand de l'émission La tronche en biais sur Balance ton poste, noyé sous la cacophonie des chroniqueurs, assailli de toutes parts sous des flots rhétoriques et qui n'a pas pu en placer une, tomber dans le piège du mille-feuille argumentatif, un sophisme bien connu. Plus récemment, j'ai vu Louis Boyard, un ancien chroniqueur de TPMP devenu député LFI, se faire couper la parole et insulter en direct. Pour le coup, cela a valu une amende de 3 millions d'euros à la chaîne. Dans l'ensemble, à chaque fois que j'ai pu regarder, la toxicité du concept m'a sauté aux yeux. C'est un tribunal supposément populaire où les verdicts sont posés à l'avance et où on ne laisse pas les invités, seuls contre une meute de chroniqueurs médiocres et caricaturaux, exposer sereinement leur point de vue.

C'est pourquoi je me suis laissé séduire par l'idée de me plonger dans le Hanouna de Juan Branco, espérant y trouver une analyse des rouages de cette émission de divertissement, l'explication de la longévité de son animateur, avec peut-être à la clé une meilleure compréhension du bourbier politico-médiatico-financier. La promesse est plutôt bien tenue. Contrairement à ce que les premiers extraits qui ont filtré laissaient supposer, Juan Branco ne distille pas particulièrement les anecdotes croustillantes sur tel ou telle et ne donne pas trop dans les attaques ad hominem. L'accent est plutôt mis sur le concept et la fonction de ce type d'émissions bien plus que sur la personne du présentateur dont on devine qu'il serait aisément remplaçable. Ainsi que sur la société du spectacle qui permet son existence, au service des puissants, avalisée par les puissants.

"La télévision est donc ainsi la blanchisserie du capital, et donc de notre système politique, le lieu où se choisissent et s'intronisent nos dirigeants, se mettent en scène nos produits, un lieu de publicité, au sens le plus plein, capable de renverser ou d'introniser tout puissant, où tout péché peut être rédimé, pour peu qu'il siée aux classes qui la contrôlent, et où à l'inverse, toute déviance perçue ou qualifiée comme telle pourra être immédiatement sanctionnée. M. Hanouna l'a mieux compris que beaucoup, et contrairement à la plupart de ses comparses, faute de pouvoir prendre l'apparence du pouvoir, il a décidé d'inverser les codes de ceux qui l'ont investi pour mieux les servir."

Il y est d'abord question de l'émission du point de vue de l'invité, une plongée dans les coulisses, avec une description détaillée des studios, du hors-champ spartiate, de la distribution des rôles, de la préparation des argumentaires des chroniqueur.se.s, des invité.e.s qui répètent leur séquence indignée ou de l'effeuillage préparé d'une activiste féministe. Il apparaît que l'essentiel de ce qui est exprimé à l'antenne est préparé à l'extrême, travaillé en amont, voire scénarisé. La spontanéité en est globalement absente, n'était-ce le fil tendu du direct et l'indocilité de quelques invités armés pour les joutes rhétoriques comme Juan Branco, qui est par ailleurs un bretteur de premier ordre. TPMP est au débat ce que le catch est aux sports de combat. Cyril Hanouna est le seul présent sur le plateau à bénéficier de l'oreillette qui le relie aux statistiques en temps réel et au feedback des réseaux sociaux, qui vont déterminer de l'intérêt et de la durée de traitement d'un sujet. Société du spectacle guignolesque à qui la technologie permet de coller au plus près de son public, pour à la fois en connaître les aspirations et mieux l'influencer. Et il n'y a pas loin du pouvoir d'influencer l'acte d'achat à celui d'influencer l'acte de vote.

Cyril Hanouna se pose en effet comme l'idiot utile - et assumé - des puissants, et en premier lieu comme le vassal de Vincent Bolloré, celui à qui les richesses terrestres sont promises tant qu'il répond aux sollicitudes de la marque qu'il représente et de ses puissants alliés. Méprisé par la grande bourgeoisie pour la vulgarité "populaire" qu'il incarne, il est malgré tout celui qui arrive à toucher ce peuple lui aussi méprisé et, à ce titre, les puissants prennent acte de son utilité en tant qu'influenceur. Adulé par ses fans, il règne sur une armée de "fanzouzes" qui l'appellent "Baba", retweetent les extraits de ses émissions, le défendent sur les réseaux sociaux, aux ordres. "C'est ainsi que M. Hanouna montre à des millions de Français que l'on peut réussir en étant ce qu'ils sont, sans effort - pour peu que l'on respecte les limites fixées par les classes dominantes." Il est un modèle, à condition toutefois de rester dans un cadre profondément conservateur. La transgression est tolérée tant qu'elle ne remet pas en cause les marionnettistes. "Il peut y avoir de la dignité dans l'asservissement." Ainsi, lorsque le ministre Darmanin accepte son invitation sur le plateau, Cyril Hanouna quitte son streetwear pour arborer le costume trois pièces et produit une émission très consensuelle, "dénuée de la moindre aspérité", complètement ennuyeuse, prouvant par là la hiérarchisation de ses valeurs, et en premier lieu, satisfaire les puissants, quitte à perdre de l'audimat.

Le livre se veut finalement un plaidoyer pour la sincérité que Juan Branco se veut incarner dans un océan de spectacle et de vacuité. Le texte de Hanouna est parfois un peu trop ampoulé, un peu confus, une certaine colère peine à y être contenue, et de temps en temps - bien qu'il s'en défende - il me semble déceler un peu de cet esprit de vengeance, qui alimente une colère prompte aux révolutions. Saint-Just et Robespierre ne sont jamais très loin avec Juan Branco. À côté de cela, je me sens un peu dérangé par les analyses sociologiques et psychologiques que je sens biaisées par une vision du monde exclusivement à charge. Pour autant, l'essentiel du livre me paraît fondé et a minima, informatif. J'étais désillusionné par cette société du spectacle, je le reste, mais j'ai gagné quelques arguments supplémentaires à cette lecture.

Juan Branco - Hanouna
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