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TélescoPages

Un espace dédié à la musique, à la littérature, à la science, à la conscience, et au-delà

Juan Branco - Crépuscule

Juan Branco, l'auteur de Crépuscule, le livre que je viens de terminer, a tout juste 30 ans et a déjà vécu plusieurs vies. Je le connais depuis peu en fait, depuis son engagement dans la lutte contre les inégalités notamment à travers son implication dans le mouvement des Gilets Jaunes. C'est après son interview ThinkerView et l'étendue impressionnante de sa maîtrise des écosystèmes politiques, médiatiques et industriels (et des interactions y afférentes) que je me suis décidé à acheter son livre. Les affirmations à charge et la déconstruction des processus qui ont abouti à l'avénement de la Macronie en 2017 constituaient un bon teasing mais j'avais quand même besoin de faits. Dans cette interview, Juan Branco affirmait que toutes ses affirmations étaient documentées et qu'il n'avait par conséquent pas peur d'être attaqué pour diffamation. Par ailleurs, comme j'étais tombé sur une séquence de clash où il avait tenu tête seul contre tous à la bande de chroniqueurs de Touche pas à mon poste et à son présentateur, il avait acquis en quelques minutes toute ma sympathie. Un rhéteur bretteur avec du fond sous la forme, ça ne se découvre pas tous les jours.
Après la lecture de Crépuscule, son capital sympathie n'a pas trop baissé. Mais...
Que nous dit ce livre ? Qu'au sein des puissants de ce monde, l'endogamie règne en maîtresse pour entretenir la caste des privilégiés. Que ce sont des rapports de servilité consanguine entre industriels, politiques et journalistes qui font les carrières. Les industriels ont besoin des politiques pour faire passer des lois qui leur sont favorables (comme la disparition de l'ISF). Les politiques ont besoin des industriels, milliardaires de préférence et patrons des grands médias, pour soutenir leur carrière à travers des financements, que les industriels achètent des journaux influents pour avoir le pouvoir d'influer en faveur des politiques (le coup de force du matraquage médiatique pro-Macron depuis 2015), et que les journalistes sont soit complaisants, soit ont le bras tordu dans le dos quand l'actionnaire majoritaire fronce les sourcils ou quand l'industriel menace de ne plus acheter d'espaces de pub avec le risque de faillite. Un journal déficitaire financièrement reste un outil de pouvoir d'influence et donc d'enrichissement indirect par l'utilisation de ce pouvoir. Une danseuse comme on dit. Tout le monde rend des services a tout le monde et tout le monde a des dossiers sur tout le monde, d'où un silence assourdissant qui fait status quo. Et le système oligarchique a ses soudards aussi, qui travaillent aux basses oeuvres en marge des lois (Benalla, Michèle "Mimi" Marchand). Rien de nouveau sous le soleil en fait. J'ai pensé en lisant ce livre à Jean Montaldo qui en son temps avait dénoncé les travers du mitterandisme et du chiraquisme.
Ce qu'on apprend par contre, c'est l'étendue des dégâts et ce qui se joue sous le vernis de la république en train de se craqueler jusqu'au point de rupture. En deux ans sous Macron, Bernard Arnault a vu sa fortune plus que doubler passant de 35 à 87 milliards d'euros. Xavier Niel (patron de Free, actionnaire principal du journal Le Monde et beau-fils de Bernard Arnault) a obtenu sa licence mobile qui lui avait d'abord été refusée dans les antichambres du pouvoir grâce à laquelle il a pu devenir milliardaire. Macron est devenu président ex-nihilo et a très rapidement renvoyé l'ascenseur à tous ses soutiens en offrant des postes importants et en faisant passer des lois favorables. On comprend un peu mieux le rôle de Benalla et le pourquoi des protections dont il dispose toujours. Juan Branco lâche des noms et des anecdotes à qui mieux mieux, et c'est un tourbillon ad nauseam. Selon lui, la république n'a jamais été autant pillée et les politiques n'ont jamais eu aussi peu d'idéologie. Ce système qui ne peut plus tenir dans la durée est au crépuscule.
Juan Branco est un transfuge issu du landerneau parisien, qui avait tout pour avoir un destin politique classique. C'est l'argument le plus fort de son témoignage. Son histoire de Philippe Egalité du début du XXIème siècle vaut caution. Et c'est aussi le point faible de ce livre intégralement à charge.
Contrairement à ce qu'il affirmait dans l'interview ThinkerView, les faits ne sont pas vraiment avérés. Les anecdotes très détaillées au demeurant sont souvent rapportées à la première personne. Juan Branco nous demande de le croire sur parole, ce qui est tentant il est vrai, mais on ne peut pas qualifier ce livre de reportage. Le travail d'enquête d'investigation ne semble pas avoir été fait selon les standards du journalisme. Et de fait, je trouve que c'est une occasion manquée, un pétard mouillé.
Ce livre est un pamphlet, le ton employé est de l'ordre de l'adresse au peuple, et l'émotion qui domine est la colère. Dans le contexte des manifestations des Gilets Jaunes dont il est issu, ce livre peut laisser penser qu'il y a un agenda: dénoncer pour entretenir le feu de l'indignation pour renverser le pouvoir, et donner des têtes à couper quand la révolution hypothétique surviendra. Il y a du Saint-Just dans ce jeune tribun avocat engagé pour le peuple qu'est Juan Branco. De l'emphase, de la virtuosité et de l'excès aussi. Je ne suis pas étonné que Crépuscule soit un succès de librairie malgré ses 19 euros alors même qu'il est en téléchargement gratuit.
Le trop-plein de rhétorique et d'anecdotique finalement dessert ce livre plein de promesses. Il n'en demeure pas moins que Juan Branco, s'il survit à son ostracisation, aura peut-être un rôle à jouer. C'est un homme brillant, qui connaît ses dossiers, avec une idéologie, un engagement, et qui n'a pas peur d'aller au front.
Juan Branco - Crépuscule
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