Magali Fenoglio (Marie Mad Moi S'Ailes Perchée) - Et aime/crie/brûle comme Marie

J'ai découvert Magali Fenoglio à travers sa page Facebook Marie Mad Moi S'Ailes Perchée sur laquelle elle publie régulièrement de très belles photos mêlant à la fois trash, féminité et symbolique,  accompagnées de poèmes qui secouent, dans le style depreslien que j'affectionne. C'est donc une évidence pour moi que cette trilogie fraîchement auto-éditée Et aime comme Marie / Et crie comme Marie / Et brûle comme Marie soit préfacée de la main de Pascal Depresle lui-même tant l'ADN paternel y est présent.

Marie, le personnage qui s'exprime tout au long de ces recueils, est le double sans filtre et sans fard de la lycanthrope Magali Fenoglio. À travers une écriture visiblement thérapeutique, l'auteure laisse libre cours à ses obsessions, et autant le dire tout de go, le sexe occupe une grande partie de l'espace vacant. Vous avez dit espace vacant ? Oui, parce qu'il est fondamentalement question d'un manque profond, vide cardinal, de ce genre de vide que le physicien David Bohm qualifiait de plenum, source de création et de destruction. De ce vide primordial, Magali Fenoglio fait des poèmes qui sont autant d'adresses de Marie à un tu-homme tantôt individuel, tantôt générique, l'appelant pour venir s'unir à elle afin de revivre l'expérience de la fusion du nous où se dissolvent les je, et d'où elle pourrait renaître à elle-même. Les trous de son corps de papier et d'encre sont autant de failles à remplir de fluides séminaux, non pas pour y créer la vie mais pour lui rendre temporairement la sienne. Il y a un peu de la femme vampire dans ce personnage qui suce, pompe, aspire, avale, dont les cris ne résistent pas à la brûlure du soleil, et n'est jamais rassasiée, dont "tu crois qu'elle va aimer mais ce ne sont que ses dents qui te mordent..."

Y a-t-il une blessure originelle informulable ou inavouable directement "l'histoire d'une histoire qui se tait", qui a creusé un trou dans l'âme, trou par lequel s'évapore la vie, fuite qu'il faut sans cesse combler par une perfusion de vie d'homme ? A l'image d'un trou noir que l'on ne peut pas observer directement mais dont on détecte l'existence par les effets qu'il provoque dans sa périphérie. C'est ce que suggèrent ces écrits qui sont "des miroirs sans fond" tels que le poème "Ce que...":

Ce que je n'écris pas
J' le raconterai peut-être mais une autre fois
Ce que je ne dis pas
D'autres l'entendent à travers le silence
Ce que je ne vomis pas
J' le garde enfoui au fond de moi
Ce que je n'avoue pas
Je préfère le taire, c'est mieux parfois
Ce que je ne hurle pas
J' le laisse aux loups, ils savent
Mieux faire que moi

C'est une blessure sale devenue plaie suppurante, qui génère émétique et cosmétique, deux façons de tenter de faire sortir le corps étranger, le poison initial, "qui coule dans mes veines, silencieux", cette boue, cette crasse, ce salace, par liquéfaction ou par sublimation. C'est une blessure autour de laquelle Marie s'est construite au point de s'y identifier comme quand elle essaie de se vomir d'elle-même. Du noir de jais dont elle attend que l'homme du "toi + moi" vienne la laver, la nettoyer, la rincer, par intervalles, malgré la distance, malgré cette autre femme officielle, à grands jets de semence qui contiendrait peut-être un peu d'amour absolvant et de lumière d'avant la chute.

Cette trilogie sombre, toute en nuances de gris, fruit des entrailles de Magali/Marie, qui nous parle de dépendance et de boulimie sexuelle qui obscurcit la vision de l'amour, n'est pas dénuée de moments de répit et d'espoir. "Nous sommes vivants, mon amour!" Comme une surprise. Après le feu, la résilience comme un possible. Comme une fin alternative au Baise-moi de Virginie Despentes.

A noter les magnifiques photos en noir et blanc de Fred Méliani qui viennent illustrer l'univers de Marie Mad Moi S'Ailes Perchée.