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TélescoPages

Un espace dédié à la musique, à la littérature, à la science, à la conscience, et au-delà

Entretien - Pascal Depresle

Pascal Depresle est un écrivain et poète tout en hauteur - haut débit, haute définition, haut vol - qui puise son inspiration dans le parcours d'une vie dont elle est de celles qui dépassent la fiction. Marqué très tôt par les deuils à répétition, il s'est construit tant bien que mal, gardant l'esprit à toit ouvert, avec la poésie pour fondations et la littérature pour piliers. La résilience prend parfois de ces chemins! Son écriture est un cocktail aigre-doux, un jus de souffrances et de jouissances, secoué mais pas agité, avec un zeste de contemplation. Tutoiement de rigueur, l'humain n'est jamais loin avec lui. Depuis qu'il a fait son apparition dans ma vie de lecteur, il occupe une place avec vue dans mon coeur, et c'est une joie pour moi que de partager avec vous cet entretien qu'il a bien voulu m'accorder ce dimanche. Un dimanche pascal. Evidemment.

Entretien - Pascal Depresle

TélescoPages: Mon premier contact avec toi s'est fait à travers ton autobiographie, J'ai trop traîné sous la pluie, qui m'a littéralement bouleversé, avec son mélange de souffrance et de beauté dans le coup d'oeil rétrospectif que tu portes sur ta propre vie.

Pascal Depresle: J'ai dû édulcorer cette première partie. Certains passages que j'ai retirés auraient pu être interprétés comme de la mythomanie. On se dit que ce n'est pas possible que tout ça soit arrivé vraiment. Je suis en train d'en préparer la suite.

TP: Tu me donnes l'impression d'avoir eu une jeunesse marquée par le deuil et l'abandon, ta poésie est empreinte de tout cela. Cette jeunesse semble déterminante dans ton écriture.

PaD: C'est vrai et c'est pour cela que j'essaie de m'en détacher. C'est ce que j'ai tenté de faire avec mon livre "Des osselets au dessert" (2021), que j'ai voulu à part, dans le style de Frédéric Dard que j'ai eu la chance de rencontrer vers la fin de sa vie, mais qui n'a pas encore trouvé son public. Il faut le temps que ça s'installe, que les personnages se mettent en place. J'ai des demandes de suite pour en faire une saga. C'est une sorte d'hommage à San Antonio, mais en version édulcorée parce que l'on ne pourrait plus trop écrire aujourd'hui ce qu'il écrivait à l'époque. Encore que... Les premiers San Antonio ont aussi été très mal reçus par la critique au début des années 50.

TP: Ce genre de littérature a parfois une postérité qui dépasse celle de ses plus ardents critiques. Comme le cinéma d'Audiard.

PaD: J'ai lu tous les San Antonio quatre ou cinq fois, si ce n'est pas dix fois! Dès les premiers, il y avait tout dedans. Sous le couvert d'un Béru, d'un San Antonio, il y a beaucoup de choses sur la vie, sur l'amour, sur la mort. Beaucoup de gens les ont pris en première lecture comme de la littérature de gare, basique, banale, vulgaire. Alors qu'il y a de la réflexion, il y a toute la vie que l'on sent. Et l'on voit l'évolution de son style, à quel point l'enlèvement de sa fille a été un tournant dans son écriture. J'aurais aimé le connaître davantage. A l'époque de cette rencontre, j'étais publié dans des revues assez peu populaires comme Short Edition, Revue Métèque, mais je n'avais pas encore publié de livres.

TP: Tu as aussi eu rencontré Richard Bohringer.

PaD: C'était un grand moment pour moi, c'était mon voisin au salon du livre de Royat-Chamalières, près de Clermont-Ferrand. Il était l'invité d'honneur. Il y avait une telle file d'attente devant lui que les gens prenaient le temps de regarder mes livres. C'est le seul jour où je suis reparti avec tous mes sacs vides! Et c'est ce jour-là que je lui ai "acheté" le titre "J'ai trop traîné sous la pluie". Il m'a dit "Vas-y gamin, ce titre ne m'appartient pas, et si tu as un problème, c'est donné". Ce sont les auteurs comme Frédéric Dard, Richard Bohringer, ou encore René Fallet qui m'ont fait!

TP: C'est vrai que j'ai senti l'influence de Richard Bohringer dans ton écriture. C'est quelqu'un qui va explorer les mêmes terrains, les mêmes terreaux que toi, qui puise son inspiration dans l'humain, dans l'humain déchu.

PaD: Le parcours est un peu similaire. Il y a beaucoup d'Afrique en lui, l'Afrique a failli le tuer d'ailleurs. Son autobiographie "Quinze rounds" est tout simplement exceptionnelle.

TP: De quelle façon Frédéric Dard et Richard Bohringer ont-ils influencé ton écriture ?

PaD: Alors Dard parce que j'ai grandi avec. Mais j'ai grandi avec René Fallet aussi. J'ai eu un grand échange épistolaire avec lui, et lorsque nous nous sommes rencontrés, il m'a présenté à son éditeur de chez Denoël qui a accepté alors de publier mon manuscrit en cours de l'époque. Malheureusement, un jour pas fait comme les autres, d'intense solitude, j'ai fait un immense autodafé, j'ai tout brûlé. J'avais fait taper mon manuscrit, j'avais un contrat d'édition et j'ai passé trente ans après ça à courir après le tapuscrit. Je suis revenu à l'écriture avec mon premier recueil publié en 2018, Le cri des autres, qui était le sous-titre de ce roman perdu: "Mélissandre - Le cri des autres", mais dont l'histoire n'a rien à voir. Je viens d'ailleurs de terminer il y a quelques semaines de réécrire ce livre dont Mélissandre est l'héroïne, et je l'ai envoyé à beaucoup d'éditeurs parce que je pense qu'il mérite une autre vie. C'est l'histoire d'un père qui va chercher sa fille aux Etats-Unis et qui va y trouver beaucoup de réponses à des questions qu'il ne se posait pas. J'aurai bouclé la boucle.

TP: Cet autodafé me fait penser à quelqu'un qui, il me semble, est une autre de tes influences, Serge Gainsbourg, qui vers ses trente ans, tandis qu'il se voyait comme artiste-peintre, avait brûlé toutes ses toiles avant de se lancer dans la musique.

PaD: Il s'était déclaré comme peintre nullissime, sans avenir, sans la moindre cote, et il a décidé de passer à autre chose. Gainsbourg est une influence musicale, mais Thiéfaine aussi. C'est aussi une influence dans mon rapport artistique à la femme. On le verra dans mon prochain recueil "Depuis toi", qui est gainsbourien à souhait, on peut le dire, notamment dans la recherche des sonorités, des ellipses, des césures. Mais on n'est que la somme de ses influences, de ses lectures, de ses rencontres, écrites, auditives. Comme tu le dis, on est ce que l'on mange, et on recrache ce que l'on mange aussi.

TP: On se nourrit d'influences artistiques, et aussi de la vie. Ton enfance a été très marquante, mais il y a eu l'armée aussi qui semble avoir laissé des traces, une période de ta vie sur laquelle tu donnes des indices tout en restant dans une certaine pudeur.

PaD: Il y aura plus de détails dans la suite de "J'ai trop traîné sous la pluie". Mais ça va rester relativement soft. La seule marque qui reste est ici (il montre son épaule droite où est tatoué un crâne et le dicton de la Légion Etrangère "Le diable marche avec nous"), ça sonne très képi blanc, légion, et j'essaie de l'adoucir avec celui-ci (il montre son épaule gauche où sont tatoués les symboles de l'alpha et de l'oméga). Beaucoup plus sympathique et doux que l'autre qui reste un symbole très violent.

Entretien - Pascal Depresle

TP: Malgré ce passé qui reste accroché à ta peau, et tes livres qui revisitent ton passé, est-ce que tu n'as pas la volonté de passer à autre chose, de regarder devant ?

PaD: Ce n'est pas l'impression que je donne mais je regarde souvent devant. Ces livres existent parce qu'il fallait m'absoudre de ce passé pour pouvoir passer à autre chose. Et notamment recommencer "Mélissandre" que j'avais écrit à quatorze ans. En trente-cinq ans, morceau par morceau, j'ai fini par retrouver la quasi-totalité de ce roman, mais en l'état, c'était impubliable. J'ai perdu beaucoup de temps dans ces recherches, mais au fond, est-ce vraiment du temps perdu ?

TP: Est-ce que tu t'intéresses à d'autres formes écrites ?

PaD: Je me suis tourné vers la chanson, parce que j'ai eu des demandes en ce sens. Mais on me demandait également de mettre en musique, et je n'ai pas appris le solfège. J'ai livré quelques textes de chanson, j'ai fait le nègre parce que ça permet de manger.

TP: Tu as un rythme stakhanoviste. Tu as publié une dizaine de recueils, deux livres, bientôt un troisième, en l'espace de quatre ans. Quasiment une oeuvre. D'où te vient cette énergie ?

PaD: Tout était déjà là dans ma tête, je ne prends jamais de notes, je fais très peu de relectures, mon écriture est très instinctive, à flux tendu. Je reviens rarement sur ce que j'écris, sauf pour quelques retouches, j'enlève un peu, mais j'ai plutôt tendance à rajouter. Tout est déjà prêt!

TP: Comment est-ce que tu procèdes pour démarrer l'écriture d'un poème, autour de quoi est-ce que ton écriture se condense ?

PaD: Je pars d'une émotion qui crée un besoin. Comme je le dis souvent, c'est quasiment une malédiction et c'est l'une des raisons pour laquelle je veux tourner la page de la poésie. Je voudrais me tourner vers autre chose, toujours dans le domaine artistique, notamment dans la soudure. Dans l'écriture, je voudrais plus m'investir dans les formats longs. Mais je dois faire en fonction de mes horaires de travail parce que tout cela prend du temps. Je voudrais faire du théâtre aussi, je n'en ai jamais écrit. J'ai déjà une pièce toute faite, écrite dans ma tête et j'aimerais bien mettre en scène cette première pièce. Je n'irais pas jusqu'à jouer même si je l'ai déjà fait étant jeune. Je crois qu'il faut rester dans des domaines que l'on peut maîtriser! Ecrire et mettre en scène me suffirait largement.

TP: Est-ce que tu as toujours l'espoir d'arriver à vivre de ton écriture ?

PaD: Oui, j'y crois encore. Il y a cette phrase d'un écrivain qui dit qu'il faut dix ans avant d'être connu du jour au lendemain. Je n'ai pas renoncé à ce rêve, même si cela doit m'amener à vivoter au milieu de mes poules dans les Combrailles.

TP: Tu disais que tu avais du mal à être distribué.

PaD: Le vrai souci chez les libraires est que les petits éditeurs, même à rayonnement national, ne les intéressent pas, un peu comme les auteurs locaux. Certains de mes lecteurs me rapportent que leur libraire ne veut pas commander mes livres. C'est très compliqué d'exister dans ce panorama. Il faut se faire un nom, et pour se faire un nom, il faut un réseau. J'ai du soutien d'autres auteur.e.s comme Cécile Coulon. Je m'appuie sur les médias locaux mais la distribution est un vrai problème. Alors je passe par les Cultura, les Amazon, et tant pis si cela fâche un peu.

TP: Internet ouvre de nouvelles portes. Les réseaux sociaux offrent une voix pour exister, et il y a les réseaux de blogueurs aussi qui sont une nouveauté dans le paysage. Dans le passé, il y avait peu d'alternatives aux maisons d'édition, à part quelques fanzines littéraires.

PaD: Et il y a tellement de gens qui écrivent aussi, c'est une explosion. La littérature est devenue du consommable. On publie des noms qui font vendre, ce n'est plus véritablement une affaire de contenus. Il y a deux rentrées littéraires, en été et en hiver, avec plus de 600-700 titres, ça n'aide pas les petits éditeurs. Mon autre éditeur, Douro, fait partie d'un groupement d'une quarantaine d'éditeurs qui ont pignon sur rue et qui tentent de vivre à travers ce réseau parallèle.

TP: Ça ressemble à l'industrie du disque, avec l'omniprésence des majors, et une offre militante et très qualitative à la frange de la part des indépendants qui résistent tant bien que mal face à ce contexte mainstream. Qui plus est, le monde de la poésie a une double malédiction: en plus d'avoir un lectorat assez restreint, le nombre d'auteur.e.s ou qui se revendiquent comme tel.le.s est énorme et la poésie étant par nature assez abstraite, il est difficile pour les lecteurs non initiés de faire la part des choses entre ce qui est habité et ce qui est technique.

PaD: L'éducation nationale n'initie pas à la belle poésie ou ressasse toujours les mêmes poèmes. Depuis le moyen-âge jusqu'à maintenant, il existe des quantités de poèmes magnifiques, mais on ne les enseigne pas. Et c'est vrai que pour faire de la poésie, il suffit d'un petit peu de technique pour tromper tout le monde. C'est une double peine oui: un tout petit lectorat, plutôt élitiste, qui ne dispose souvent pas de grands moyens, qui souvent écrit lui-même et une concurrence féroce entre les poètes. Les attaques viennent en continu. Contrairement à l'image du poète lunaire, c'est un monde de piranhas, c'est violent!

TP: Est-ce que c'est l'une de tes motivations pour quitter le monde de la poésie ?

PaD: Non, je sais que je ferai toujours de la poésie mais je voudrais briser ce rythme. Je reviens à ce que je disais sur la malédiction. Je dis toujours qu'il n'y a pas de hasards, mais je dis aussi que tout n'est pas écrit. Ça peut sembler une contradiction, mais quand on y réfléchit bien, on peut les assembler. Je veux sortir de ça, sans pour autant renier la poésie.

TP: Est-ce que tu veux t'orienter un peu plus vers la fiction ou tu vas rester dans l'écrit à caractère autobiographique ?

PaD: Dans "Baltimore", le livre que je viens de terminer, il y a un peu des deux. L'histoire est vraiment romancée, mais les rencontres sont réelles. Je ne suis pas allé du tout dans l'autobiographie. Je vais aller chercher des choses un peu moins personnelles, même si je sais qu'on écrit toujours un peu le même livre et que l'on met toujours un peu de soi dans l'écriture. Je veux explorer des endroits que je connais moins bien, d'autres formats, comme la biographie, les livres-photos (où beaucoup de photos sont associées à peu de texte). C'est à moi de faire les choix, et je voudrais un peu lever le pied.

TP: Pour conclure cet entretien, j'ai une question dont je suis conscient qu'elle est un peu provoc. Après avoir exploré les nuances du noir à la façon d'un Soulages, est-ce que tu comptes passer à la couleur ?

PaD: Mon écriture restera sépia, elle n'ira pas dans l'arc-en-ciel. J'ai l'intention d'explorer des couleurs. Comme je l'ai un peu fait dans le deuxième tome de la trilogie "Le cri des autres" quand j'évoque la campagne. Pour reformuler ta demande, je dirais que je vais essayer d'aller plus vers la lumière que vers la couleur.

Entretien - Pascal Depresle
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P
très bel article qui donne très envie d'acheter un des livres de cet auteur. Sandrine, lectrice, mais aussi écrivain par accident...
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