Depuis une dizaine d'années en France et dans quelques pays limitrophes, des vidéos courtes mais choquantes montées à partir de rushes filmés en caméra cachée dans des abattoirs nous font prendre conscience de la réalité de la fin de vie des animaux d'élevage destinés à la viande. Que ce soient les vaches, les poules, les lapins, les moutons ou les oies, chacun d'entre nous a désormais la possibilité de ne plus fermer les yeux sur les traitements infligés aux animaux pour satisfaire nos envies de viande. Ces vidéos sont réalisées par une association désormais bien connue, la L214, en référence à l'article L214-1 du code rural qui spécifie que "tout animal étant un être sensible doit être placé par son propriétaire dans des conditions compatibles avec les impératifs biologiques de son espèce." Les vidéos en question montrent à quel point cet article n'est pas respecté, loin s'en faut.
Chaque année dans le monde, ce sont 100 à 200 milliards d'animaux qui sont abattus au prix de très grandes souffrances, et notre alimentation carnée excessive en est la seule et unique raison. Une simple habitude de consommation en fait, certainement pas un besoin vital.
Le livre L214, une voix pour les animaux sorti en 2017 reprend le parcours de ses fondateurs et porte-parole Brigitte Gothière et Sébastien Arsac. Lui est petit-fils d'agriculteurs, fréquente dès l'enfance les marchés aux bestiaux et assiste aux fêtes du cochon qui, petit à petit, le révoltent au point qu'un jour, il s'enfuit et décide de ne plus y participer. Elle, fille d'infirmière très impliquée dans le milieu associatif et d'un ingénieur, n'a a priori pas de prédispositions pour la cause animale, mais sa rencontre avec Sébastien qui deviendra assez vite son époux va changer la donne. Tous deux élèves brillants en maths et physique, BAFA en poche, s'engagent auprès des éclaireurs de France ou à la Croix-Rouge, sans affinité particulière avec la religion, juste pour l'engagement social. Et à quoi tiennent les choses ? Suite à la lecture du "Lama Blanc" de Jodorowsky, ils deviennent végétariens. De toute évidence, le choix était largement mûri inconsciemment, il ne fallait plus qu'une étincelle. Puis c'est la lecture de "La libération animale" de Peter Singer et la rencontre avec les fondateurs de la revue "Cahiers antispécistes" qui les fait franchir la barrière du militantisme. La lecture d'Henry Spira leur apporte une vision très pragmatique orientée résultats, loin des approches frontales, manichéennes et agressives de la plupart des militants du milieu. Il s'agit pour eux de simplement faire prendre conscience de la dissonance cognitive qui habite la plupart d'entre nous qui aimons les animaux et qui pourtant les mangeons au terme d'un processus engendrant une souffrance énorme.
Le collectif "Stop gavage!" est monté dans la foulée et sera le tremplin fédérateur qui va aboutir à la création de L214 en 2008. Fédérer les énergies est le maître-mot de cette nouvelle association qui de film en film fera très vite parler d'elle. Chaque film est réalisé de sorte que le lieu et la date soient des preuves valables pour déposer une plainte dans la foulée, et l'opprobre n'est pas jetée sur les employés des abattoirs considérés comme des victimes de ces systèmes concentrationnaires. L'objectif est de faire le plus de bruit possible tout en ne se posant pas comme juge ou doigt culpabilisateur. Et ça fonctionne! 12 ans plus tard, l'association L214 est devenue la référence et les lignes bougent. Les abattoirs ferment jusqu'à ce que les régulations concernant le bien-être animal soient respectées, les politiciens et la grande distribution craignant bien trop de perdre une partie de l'électorat et des clients s'ils ne suivent pas les changements de mentalité en train de s'opérer.
Pourtant, le combat de L214 ne fait que commencer. Malgré les multiples alertes lancées, en particulier au sein des labels censément bio, chacun des films est une goutte d'eau dans la mer. Le bio-washing bat son plein et c'est un voyage au long cours qui attend les militants de plus en plus nombreux de l'association, militants dont certains voient également leur parcours présenté dans ce livre.
Je dois dire que je suis admiratif du travail accompli depuis 25 ans par ces militants qui posent la question de la souffrance animale comme symptôme d'un déséquilibre largement sociétal. Je recommanderais volontiers de lire ce livre mais à tout prendre, je pense qu'il vaut mieux dans un premier temps avoir le courage (parce qu'il en faut) de regarder les images brutes de chacun des films de L214 afin d'être en mesure de décider en conscience si oui ou non, notre plaisir gustatif optionnel et culturel mérite vraiment une telle quantité de souffrance.