Laurent-Jacques Costa - Le scientifique face à l'invisible

Philippe Ferrer est le concepteur et animateur de l'émission On ne vous demande pas d'y croire diffusée sur sa chaîne YouTube du même nom consacrée à l'irrationnel, au paranormal, à l'inexpliqué. A ce titre, il invite très régulièrement des praticien.ne.s et expert.e.s dans l'un ou l'autre de ces domaines, comme des médiums, des guériss.euses.eurs, des expérienceurs d'EMI ou de sorties hors du corps, toutes sortes de gens qui prétendent avoir des dons dans ces disciplines globalement non reconnues par la science. Etant de formation scientifique et très curieux de nature, je suis cette chaîne de loin en loin, me concentrant sur les personnalités qui m'intéressent, notamment dans le domaine des EMI. J'ai découvert la chaîne en 2019 avec la fascinante interview en plusieurs parties de l'expérienceuse et médium corse Vannina Schirinsky.

C'est en 2021 sur une plage en Corse qu'il rencontre par l'intermédiaire d'un ami réalisateur Laurent-Jacques Costa, un ancien scientifique en archéologie du CNRS devenu vulgarisateur scientifique pour France 3, et très rapidement, ils deviennent amis. Si l'un baigne dans le milieu de l'inexpliqué depuis la disparition de sa compagne en 2014, l'autre porte un regard très critique sur ces milieux composés de gens qu'il considère comme vraiment perchés. Mais une expérience personnelle va faire évoluer la vision des choses du scientifique: un jour alors qu'il souffre d'une douleur insupportable au genou droit consécutive à une calcification du ligament interne (radiographie à l'appui) et contre laquelle les anti-douleurs sont sans effet, et alors que le corps médical lui a prescrit une opération chirurgicale pour laquelle il doit attendre une semaine, il demande en désespoir de cause à Philippe Ferrer s'il ne connaîtrait pas des guérisseurs qui pourraient faire quelque chose. Consécutivement à deux rendez-vous qu'il obtient rapidement par son intermédiaire, il constate que son état s'améliore en quelques jours. Lorsqu'il fait son IRM du genou, le radiologue lui explique que la calcification s'est résorbée et qu'il ne sera pas nécessaire d'opérer. Ce constat validé par un médecin l'ébranle profondément.

Quelques jours avant sa rencontre avec Philippe Ferrer, il avait rencontré Vannina Schirinsky dans le cadre d'un documentaire sur les EMI qu'il s'apprêtait à réaliser et son témoignage l'avait également beaucoup troublé, malgré un petit peu d'agacement de l'expérienceuse suite à ses doutes. Mais l'interview d'une autre expérienceuse, Nicole Dron, quelques mois plus tard va le déterminer à se plonger dans le monde de l'inexpliqué. Ces questions commencent à l'obséder. Et le fait de fréquenter Philippe Ferrer et son groupe d'ami.e.s va lui permettre de participer à différentes expériences comme des séances de oui-ja ou de médiumnité en salle. Mais surtout, cela va lui permettre d'échanger régulièrement avec des cherchant.e.s, des personnes qui écrivent des livres ou qui pratiquent ces disciplines de manière professionnelle. En l'espace de deux ans, il va complètement revoir sa vision de la réalité et son rapport au monde. Tout en conservant son bagage scientifique, il va sortir du carcan et réactiver à plein régime sa curiosité. Quoi de plus intéressant justement que de mettre ses compétences et sa rigueur méthodologiques au service d'une ouverture d'esprit plus large ? C'est en substance ce parcours que décrit à la première personne Le scientifique face à l'invisible paru en mars 2024 chez Guy Trédaniel.

Je ne savais pas trop à quoi m'attendre avec ce livre. Il y a beaucoup de gens invités à On ne vous demande pas d'y croire qui me laissent sincèrement perplexe, et dans ces cas-là, je passe clairement mon tour. Mais j'ai été attiré par ce récit de tribulations d'un scientifique dans ces territoires parce que j'avais envie de savoir comment d'autres avec un profil un peu similaire au mien se positionnent et exercent leur discernement. Et je n'ai pas été déçu, loin de là ! Laurent-Jacques Costa a eu la sagesse de noter sur un carnet de bord et de façon détaillée des comptes-rendus de ses rencontres. Le récit, grâce aux dialogues retranscrits très détaillés, presque verbatim, en est d'autant plus vivant, à telle enseigne que j'ai eu parfois le sentiment d'être dans la même pièce, dans la même conversation, d'en sentir l'atmosphère. J'ai presque ressenti la quête de chacun, comme par exemple, ce désir profond - et touchant - de Philippe Ferrer de trouver des réponses à la question de la continuité de l'identité à travers les incarnations successives.

J'ai aussi particulièrement apprécié les références scientifiques parsemées dans l'ouvrage, notamment sur la façon dont les être vivants les plus primitifs et les amibes parviennent à se regrouper et surtout à se coordonner pour constituer une sorte de limace dont elles seraient chacune les cellules, alors qu'aucune d'entre elles n'est équipée du moindre réseau neuronal et ne semble a priori capable du moindre processus de décision. Comme s'il existait un tropisme propre à l'espèce et au groupe, les amibes sociales ont des aspects d'unicellularité et de multicellularité qui suggèrent l'existence d'une intelligence collective supérieure fonctionnant en l'absence de cerveau, et ouvre la porte à la possibilité d'une autre explication pour les perceptions rapportées lors des EMI. Bien sûr, il existe peut-être une explication moins exotique à cette énigme mais il faut bien avouer que cet exemple est saisissant.

L'auteur décrit également sans le nommer l'effet Hartman pour illustrer que les lois de la physique telles que nous les connaissons actuellement ne viennent pas sans leur lot de paradoxes et que ceux-ci devraient nous inviter à chercher toujours plus loin. Pour autant, il n'est pas inutile de rappeler que certains de ces paradoxes - notamment celui-ci qui semble suggérer qu'un photon peut aller plus vite que la lumière à travers l'effet tunnel - ne sont qu'apparents, surtout pour les non-physiciens, même avec un bagage scientifique. Pour ma part, j'aurais plutôt tendance à aller interroger des physicien.ne.s pour connaître leur interprétation. La physique quantique est souvent utilisée par des non-physiciens pour illustrer ou justifier des phénomènes paranormaux du fait de la réalité contre-intuitive qu'elle semble décrire, mais il faut vraiment s'assurer d'en maîtriser les rouages pour se lancer dans cet exercice périlleux, le risque de mauvaise interprétation étant véritablement très élevé et les physicien.ne.s n'étant pas d'accord entre eux. Toujours est-il que ces constats scientifiques relevés par Laurent-Jacques Costa interpellent à bon escient et stimulent positivement l'esprit.

Parmi les digressions, il est également question de Galilée et de la façon dont ses théories ont mené à son célèbre procès. Cette partie était très intéressante dans le sens qu'elle met l'accent sur le fait que c'étaient moins ses théories qui étaient gênantes que son attitude méprisante vis-à-vis du corps de l'église. Avec un peu plus de diplomatie et de dialogue, ses théories auraient sans doute pu être reconnues plus tôt. Laurent-Jacques Costa établit un parallèle avec le scientisme actuel qui tient désormais le même rôle que l'église catholique du XVIIème siècle: la connaissance apparaît comme sclérosée autour de lois physiques démontrées mais considérées de façon dogmatique comme des barrières infranchissables, et d'une certaine manière sacrée. Ce rappel historique nous invite à moins de mépris mutuel entre scientifiques et croyants, de sorte que nous puissions peut-être faire évoluer notre vision commune de la réalité de manière un peu plus fluide.

Pour conclure, j'ai beaucoup apprécié ce livre. J'y ai trouvé bien plus que ce à quoi je m'attendais et j'ai ressenti la sincérité qui en anime les protagonistes, bien loin des insinuations de manipulation et de velléités commerciales habituellement proférées à leur égard par de nombreux sceptiques. Tout comme Laurent-Jacques Costa, j'ai un pied dans la science, un autre dans ces milieux aux marges où je baigne depuis quelques temps, quoique de façon plus lointaine et épisodique, et mon discernement est mis à rude épreuve. Tout comme lui, j'ai été attiré par ces questions depuis l'enfance mais j'ai passé l'essentiel de ma vie à ne plus m'en occuper. Et de ce qui m'arrive depuis que je m'y suis intéressé de nouveau il y a un peu moins de 10 ans, je ne peux que dire que c'est une belle aventure.