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TélescoPages

Un espace dédié à la musique, à la littérature, à la science, à la conscience, et au-delà

Thaël Boost - Saturation

D'un deuxième opus, on attend souvent qu'il nous emmène à peu près dans la même direction que le premier, un peu plus loin, un peu plus haut. Avec La mère à côté, Thaël Boost avait placé la barre bien loin du sol. Le sujet en était l'évolution dans le temps de la relation empreinte d'amour qui la reliait à sa mère, même après la maladie, jusqu'à la fin. Le matériau brut était autobiographique. Deux ans après, changement de cap. Avec Saturation, paru en avril 2024 aux éditions Anne Carrière, c'est une toute autre expérience de lecture qui nous est proposée, avec une oeuvre de fiction aux frontières du fantastique et de la biographie, en proximité avec la mort. "Nous avons besoin d'amour et de fantômes pour espérer traverser cette existence avec force et exaltation." En effet, Thaël Boost fait parler un défunt, et pas le moindre d'entre eux puisqu'il s'agit du peintre Gustave Courbet, mort depuis presque 150 ans, et pour lequel elle éprouve une vive admiration.

Celui-ci se retrouve, sans véritablement savoir comment, témoin, à la fois discret et bavard, de l'évolution d'une jeune fille éperdument amoureuse d'un garçon dont on ne peut pas dire qu'il le lui rend bien. Les histoires d'amour finissent mal en général, un titre des Rita Mitsouko qui ne figure pas dans la bande-son du livre mais qui aurait pu tant cet amour-là est essentiellement à sens unique. George, objet de cet amour, est un garçon autocentré, anticonformiste et d'une certaine immaturité, caricatural presque, mais le coeur, qui a ses raisons que la raison ignore, choisit souvent de ne capter que la lumière qui émerge d'une oeuvre aux bases sombres, une lumière magnifiée par l'effet de contraste. Et l'on a parfois (souvent) besoin de voir chez l'autre la beauté que l'on refuse de voir chez soi. Mais trop de lumière amène à détourner le regard par effet de saturation. Tout comme l'excès d'amour à sens unique.

Le créateur, en dehors de l'espace et du temps, se fait spectateur impuissant - mais bavard - d'une galerie de tableaux vivants, sans plus de possibilité d'intervenir qu'un visiteur de musée devant les oeuvres d'une exposition. Lui-même a commencé sa carrière avec quantité d'autoportraits et n'est pas en reste en ce qui concerne l'anticonformisme et la provocation, allant jusqu'à inspirer la chute de la colonne Vendôme pendant la Commune de Paris. Depuis son "exil à durée indéterminée", il observe, commente à la manière d'un connaisseur des us humains - après tout, n'a-t-il pas été mêlé à des émois bien pires ? - établit des parallèles entre son époque et la nôtre. Il analyse la fresque amoureuse d'une vie auquel il a un accès privilégié panoptique que lui procure son état désincarné comme le souffleur aphone d'une pièce de théâtre. Une revue de vie comme on en voit dans les expériences de mort imminente, à la nuance près que cette vie ne serait pas la sienne. Car il existe un lien fort entre le fantôme de Gustave Courbet, cette femme qui n'est pas nommée et dont on découvre au fur et à mesure le parcours amoureux, et George. Quelle est la nature de ce lien ? Gardons entier le silence: il est tissé d'or.

Chaque chapitre est intitulé d'après l'un des tableaux de ce maître anticonformiste, tel Le désespéré que tous les anciens lycéens lecteurs du Horla reconnaitront aisément, L'origine du monde que l'on ne présente plus, ou les Amants heureux. La peinture qui s'insinue dans les mots, le défi était de taille. N'étant pas versé en matière d'arts graphiques, il m'a fallu interroger Internet pour voir la trentaine d'oeuvres en question et comprendre pourquoi Gustave Courbet était le peintre d'une vie parfaitement choisi pour jalonner Saturation, lui qui a aligné son oeuvre à sa vie, en s'affranchissant de la tradition de la peinture sur commande et qui a été l'un des précurseurs en matière de peinture sociale. J'ai adoré cette visite guidée à la forme si particulière ! Une forme prosopopéique qui n'est d'ailleurs pas sans rappeler le très oulipien Un cabinet d'amateur de Georges Pérec. Mais Thaël Boost apporte sa patte personnelle à travers le procédé de parallélochronie qu'elle affectionne et qui transcende les barrières du temps, en nous faisant simultanément entrer par effraction dans l'intime de deux époques séparées de quasiment deux siècles, de deux histoires banales et exceptionnelles à la fois, de deux destins. 

Thaël Boost - Saturation
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