Christian Bobin - La part manquante

Christian Bobin est pour moi une rencontre récente, (trop) tardive même, à la faveur de la sortie en 2022 de son Muguet rouge, qui l'a vu passer de vie à trépas alors que j'étais seulement en train de le découvrir. J'ai compris très vite que sa poésie est de celles qui me touchent, de celles qui font mouche. J'ai donc remis le couvert avec La part manquante, paru en 1994. J' y ai retrouvé le poète, en version concentré. Les phrases courtes, tirées en rafales de lumière, chargées comme des aphorismes, se succèdent, peignant en pointillisme des portraits qui ont la taille d'une nouvelle, d'un timbre-poste. C'est un bain d'images, de sensibilité qui ne tombe jamais dans la sensiblerie, d'émotions qui ne s'abaissent pas à l'émotionnel. Ce sont des enfants qui s'en vont vivre leur vie et qui laissent un vide lumineux derrière eux, dans le coeur de leurs mères. C'est l'enfance qui s'en va et qui laisse un vide lumineux dans le coeur de l'adulte qui navigue sa vie sur des phrases posées sur des pages. C'est l'adulte qui se détourne de l'enfance, de Dieu, du miracle de la couleur, et qui essaie sa vie durant de fuir ce vide lumineux, plongé dans l'orgueil, l'argent et les connaissances. C'est l'enfance, omniprésente, qui revient, parce qu'elle a toujours été là, qui revient d'autant plus forte qu'elle a été refoulée, qui revient parce l'ombre ne survit jamais à la lumière.

Quel délice de se plonger dans ces phrases ! Il paraît que l'on ne peut qu'aimer ou détester Christian Bobin. Pour ma part, je n'ai pas eu besoin de choisir. La part manquante est le genre de livre dans lequel je retournerai piocher de temps en temps de quoi me plonger dans un autre regard. C'est un trésor de phrases qui transforment, qui alchimisent, métamorphiques, une pharmacopée bibliothérapeutique à effet rapide et prolongé. Et si peu de livres ont ce pouvoir ! Un bain d'amour.