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TélescoPages

Un espace dédié à la musique, à la littérature, à la science, à la conscience, et au-delà

Christian Bobin - Le muguet rouge

En octobre dernier, je recevais Le muguet rouge des mains propres d'une amie aimant vivre dans la vision pénétrante de l'invisible. Je n'avais jamais lu Christian Bobin auparavant, en dehors de citations croisées ici ou là. Je ne le savais pas encore, mais le poète n'avait plus que quelques jours à vivre. Je commençais donc ce livre du vivant de son auteur, le quittant orphelin. C'est une expérience rare que d'accompagner une telle transition dans les mots. Je crois bien que c'est la première fois en ce qui me concerne. Je suppose que c'est un peu comme assister à la dernière représentation d'un acteur qui tire sa révérence en plein milieu de la dernière scène. Il se tisse un lien particulier dans ce spectacle des derniers instants. Ainsi j'entamais ce recueil sans savoir que je le terminerais dans le recueillement.

De mort il est beaucoup question dans Le muguet rouge. Identifiés par le fait qu'ils sont porteurs de cette légion d'honneur naturaliste et onirique si particulière et si souvent posthume, Christian Bobin convoque  dans le désordonné de ses mots les membres de sa famille d'âme poétique. Puisqu'il n’y a pas plus bavard qu’un mort qui sème ses phrases au buvard du vif. Il y a d'abord son père, cette source d’où le muguet rouge a jailli depuis les plaines incendiées du Jura. Puis Pascal, Descartes, Kafka, Jacqueline du Pré, Nerval ou encore Plutarque reviennent aussi mettre de la chair sur leurs os le temps d'un passage, pour rappeler comment ils ont porté haut le rouge de la fleur de mai.

Dans Le muguet rouge, les scènes en plan séquence au temps long alternent avec des plans saccadés aphoristiques, stroboscopiques, ou kaléidoscopiques, aux allures de cut-up façon William Burroughs. Des façons de cadavres exquis bouffés par des vers plus profonds que douze pieds sous terre, la mort qui s’invite parfois dans des éclats de troisième oeil vert et bien ouvert, survol d’une inspiration printanière qui insuffle le dernier souffle, car le muguet est aussi un poison puissant.

À l’ombre du mystère qui plane sur la nécropole parsemée de quelques brins de muguet rouge, Christian Bobin est le creuset où se vulcanise la poésie, où l’encre, pas encore pétrifiée, n’a pas encore décidé de quels feux elle brillera pour se faire résistante face à la Bête vulgaire à la peau de verre, face à la civilisation de la technologie comptable du monde et mangeuse de temps. La poésie, ultime rempart contre les assauts des hommes-machines et de la folie warholienne de la standardisation stérilisante et débilitante. La poésie, antichambre du mystère et dernier refuge du vivant.

À travers la juxtaposition de détails magnifiés en plans raccrochés, Christian Bobin fait dégorger l’éternité d’une seconde par la magie de sa poésie. Et quand cette dernière se confond à ce point avec la réalité, -"Tourterelle, debout à ma fenêtre j’étais si las d’avoir encore tant de jours à vivre que je suis mort pour devenir vous"  - quand l'auteur devient un personnage de son bateau livre, il est évident que son oeuvre est achevée. Le muguet rouge, un épitaphe floral.

Christian Bobin - Le muguet rouge
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