Pascal Depresle - Des mots pour t'exister (tomes I et II)

Cela faisait plusieurs mois que je ne m'étais pas plongé dans l'univers depreslien aux couleurs Soulages. Faire des pauses vis-à-vis d'un.e auteur.e, c'est autoriser les contrastes, découvrir d'autres aspects en abordant les livres avec un oeil rendu neuf. Partir pour mieux se retrouver. Chaque livre est un banc de sable à marée basse où je trace des sillons, dessine des formes, laisse des empreintes de graphite ou d'encre. Et le retour de l'océan d'un autre livre s'avère nécessaire pour que se sédimentent dans le sable du papier les vestiges du passage de mes yeux et de mes mains. Il m'aura fallu ainsi quelques mois pour faire des précédents livres de Pascal Depresle des palimpsestes. En langage amoureux, c'est un peu l'équivalent de vouloir faire un break. Mais dans le monde des livres heureusement, ce n'est pas nécessaire, l'exclusivité n'est pas de mise, bien au contraire. Il y a tant de beautés offertes à découvrir et à se découvrir. Après une période de recul, je me suis donc plongé dans les deux tomes de Des mots pour t'exister, dont j'avais le pressentiment qu'ils aborderaient le thème de l'absence. Un titre très touchant au demeurant.

Et d'absence, il est bien question. Comment composer avec le vide quand un être vous manque et que votre monde se dépeuple ? L'absence prend au bide. Nous passons nos vies à en faire l'expérience. Et c'est plié en deux à l'encre bilaire - et si peu atrabilaire - que j'imagine que s'est accouchée une partie de la poésie de ces recueils. Pascal Depresle a parfois la tentation de penser que sa "vie n'est pas navigable", et de fait il comprend que l'on se départisse de lui. Il le comprend, l'attend et le pardonne d'avance. Avec sa conscience aiguë de l'impermanence des choses, de l'inévitable de la souffrance d'abandon et de rejet, avec sa lucidité vis à vis de la complexité de l'humain, seul reste valable le geste d'écrire. Pour la trace. Pour oublier l'oubli. Les amours nous quittent, les enfants s'en vont faire leur vie parfois en nous tournant le dos, les ami.e.s s'éteignent. Les écrits restent et ont le pouvoir de raviver le passé dont, une fois éteint le feu de la brûlure, il peut se faire douce nostalgie.

Je me demande souvent pourquoi Pascal Depresle peint ses poèmes avec autant de nuances de noir. Après avec lu Des mots pour t'exister, je crois comprendre que pour lui, la noirceur est un écrin. Car c'est à la grâce de la noirceur que l'on peut apercevoir les étoiles, distantes et froides certes, mais fidèles chaque nuit, témoins silencieuses de nos maux d'âme ou de ventre. Chiennes célestes qui nous aident à traverser l'obscurité, à qui l'on peut confier nos promesses et nos secrets. Oh, il y a bien des moments un peu plus en couleur. Les souvenirs des rires et des complicités qui sont autant de coquelicots. La grâce d'une femme qui défait ses cheveux, encore et encore, obsédante vision d'une beauté simple et d'un regard qui a le don de voir au bout de la nuit. Le temps suspendu et tout imprégné de Jacques Brel et de Jean Genet de ces amoureux au milieu de la foule, "trop beaux pour ne pouvoir s'aimer". La danse sensuelle des corps en peau à peau entraînés dans un limbo onirique. Mais les espoirs ne vivent que par fragments. Le chien se suicide parce que "rester, c'était mourir". Et les étoiles, ces "putes" ne peuvent plus cacher leur vraie nature qui est filante.

Ne restent alors que le temps qui passe, et la solitude habitée des fantômes du passé.