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Jean Genet - Le condamné à mort (et autres poèmes)

Après Jean Genet le pamphlétaire que j'avais découvert dans L'ennemi déclaré, je me suis penché sur Jean Genet le poète, celui d'avant les pièces de théâtre, c'est-à-dire celui de la période au début des années 1940 tandis qu'il était en prison pour des petits faits de droit commun liés à sa pauvreté matérielle, dont - cela vaut la peine d'être mentionné - le vol de livres. Le condamné à mort est le poème du tout début de l'écriture pour son auteur, et l'essentiel est déjà là confirmant que le talent n'attend pas le nombre des années. Les thématiques qui vont occuper Jean Genet pour le restant de ses jours sont déjà présentes à travers différentes transgressions pour l'époque. Il y a d'abord l'homosexualité, pleinement assumée. Mais il y a aussi le monde carcéral, et particulièrement la figure sublimée du voyou magnifique à qui la beauté plastique à peine sortie de l'enfance devrait à elle seule suffire afin d'obtenir la rédemption ("On peut se demander pourquoi les Cours condamnent / Un assassin si beau qu'il fait pâlir le jour"). Cet homme, c'est Maurice Pilorge décrit comme un "assassin de 20 ans", que Jean Genet aurait connu en prison, et qui condamné à la peine capitale, passera sous la lame de la guillotine le 4 février 1939, non sans cabotiner jusqu'à ses derniers instants. C'est une trinité maudite que celle de l'amour, de la justice et de la mort.

Certes la pornographie y est très présente. A tel point que l'on pourrait sans doute y voir une lointaine filiation avec les écrit du Marquis de Sade qui a lui aussi beaucoup écrit sur l'amour et la mort en prison. Mais il y a en plus cette empathie et cet amour omniprésents, ce supplément d'âme déposé au sang d'encre sous forme de poésie lyrique et étonnamment classique. Les rimes s'embrassent au coeur des alexandrins disposés en quatrains. Les références religieuses répondent en contrepoint aux mots de la transgression.  Peut-être sommes-nous formellement plus proches de Verlaine et de Rimbaud écrivant à quatre mains le Sonnet du trou du cul.

De fait, l'acte premier de l'oeuvre de Jean Genet est ce premier poème écrit en réaction à la médiocrité d'un autre poème écrit lui aussi en milieu carcéral. C'est par ailleurs ce premier poème qui aura la vertu de lui apporter la reconnaissance et la protection des figures littéraires de référence de son temps, notamment Jean Cocteau, et de clôturer ainsi le chapitre des trois premières décennies d'errance et de larcins, pour lui assurer un environnement propice à la création. D'autres poèmes suivront dont Marche funèbre, La galère, La parade, Un chant d'amour ou encore Le pêcheur du Suquet qui eux aussi sont animés d'un même souffle posé sur les braises de la subversivité qu'alimenteront à leur tour des artistes accomplis comme Georges Brassens, ou plus encore le Cyrille Collard de Condamné amour et des Nuits fauves

Ce livre se conclut par un texte de prose poétique, Le funambule, dédié à son jeune compagnon et inspirateur, Abdallah Bentaga. Dans ce texte se révèle le rapport absolu que Jean Genet entretient avec toute forme d'art, sans la moindre concession. L'acrobate doit être mort avant même que de poser le pied sur le fil métallique qui le maintient en vie, toute forme d'ego se doit d'avoir disparu afin d'évoluer dans "la solitude mortelle, [de] cette région désespérée et éclatante où opère l'artiste".

Je suis arrivé à Jean Genet par l'entremise d'Aurélien Barrau et je comprends, ou devrais plutôt dire, je ressens cette filiation a priori improbable. Le lien est également tissé avec La sagesse des lianes de Dénètem Touam Bona pour ces mêmes raisons. Plus que jamais, je ressens que notre monde a besoin de cette poésie et de cette subversion potentiellement révolutionnaires qui fermentent en ses marges prêtes à insuffler danse et vie à l'ordre établi, immobile et mortifère.

Jean Genet - Le condamné à mort (et autres poèmes)
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