Claude Berghmans & Didier Couronne - Expériences de mort imminente, la survie de la conscience

La littérature qui traite des expériences de mort imminente (EMI) est foisonnante et il est difficile de s'y retrouver, entre les livres construits autour d'un ou plusieurs témoignages, ceux dont le contenu s'apparente à du prosélytisme religieux, ceux qui font l'état des lieux sous l'angle scientifique ou encore ceux qui démontent le phénomène à coups de rasoir d'Ockham. En ce qui me concerne, c'est la science derrière ces expériences qui me guide, et en particulier, cette science qui sait garder l'esprit ouvert face à l'inconnu et qui se fait rare. Qu'est-ce que cela signifie que de garder l'esprit ouvert ? De mon point de vue, c'est en premier lieu ne pas oublier que le modèle qui fait à peu près consensus n'est qu'une carte, pas le territoire, et avoir l'humilité de reconnaître que ce territoire contient encore de très nombreuses parts d'ombre. Et quand l'une ou l'autre de ces zones d'ombre - que l'on peut parfaitement qualifier d'anomalies - apparaît dans le champ visuel, l'ouverture d'esprit scientifique commande de ne pas détourner le regard: de grandes découvertes sont peut-être en jeu. C'est ainsi que la science avance au-delà de la simple augmentation du nombre de chiffres après la virgule. Les physiques relativiste et quantique sont les enfants de la curiosité et de l'intérêt pour des anomalies du modèle de la physique mécanique. Au regard de leur impact sur notre vie quotidienne, il aurait été très dommage de ne pas faire front face aux préjugés de leur époque. Les expériences relatées par des quantités impressionnantes de témoins qui mélangent des perceptions hors du corps dans la réalité matérielle et des aspects transcendantaux sont une occasion de faire preuve d'ouverture d'esprit, et de grandes découvertes sont sans doute en jeu.

D'abord ignorées, puis considérées comme des occurrences d'une forme de psychose, les EMI sont désormais classées dans le rayon hallucinatoire sans pour autant être associées à une pathologie. C'est un progrès au niveau humain. D'aucuns prennent le parti qu'il faut étudier encore plus sérieusement ces expériences sous contrôle scientifique et, dans la mesure du possible, dans le cadre d'études prospectives. Mais la science est une affaire d'humains soumis à la pression sociale et à l'auto-censure, et de finances. Or les fonds sont essentiellement alloués de trois façons:

• par les industriels avec l'espoir d'une découverte amenant à un brevet voué à être rentabilisé (la recherche comme un investissement);
• par la hiérarchie d'un service de recherche avec l'espoir d'une publication qui augmenterait les chances d'obtenir de nouveaux budgets de recherche (le cercle vicieux de la course à la publication réticente à la prise de risque);
• par des politiciens sans culture scientifique en quête d'un bénéfice d'image ou influencés par des lobbies intéressés.

Dans ce monde de la recherche institutionnalisée, il n'y a plus beaucoup de place pour la curiosité de l'enfance qui a fait les grandes heures de la physique dans la première partie du XXème siècle. Pourtant, quelques scientifiques et chercheurs ont pris le parti de risquer leur réputation et leur carrière pour ne pas renoncer à cette part d'enfance. C'est cette science qui "réenchante le monde". Et c'est une science qui s'avère bien plus prolifique qu'attendu.

Dans Expériences de mort imminente - La survie de la conscience, sous-titré Approche scientifique de la continuité de l'âme, les auteurs Claude Berghmans et Didier Couronne dressent un état des lieux des connaissances scientifiques relatives aux EMI. Tous deux sont fascinés depuis plusieurs dizaines d'années par ce champ de recherche. Claude Berghmans est docteur en psychologie, spécialisé dans la gestion du stress et la méditation, après une expérience d'une quinzaine d'années dans le monde des entreprises, il revient à la recherche fondamentale et des publications scientifiques dans le cadre d'Interpsy (de l'Université de Lorraine) dont il est membre associé. Didier Couronne est quant à lui un ancien professeur de littérature, passionné par les mystères de la conscience depuis plusieurs dizaines d'années, qui a construit une authentique érudition notamment sur base de publications anglo-saxonnes, scientifique et livresque.

Et contrairement aux préjugés communs, on peut tout à fait être à la fois littéraire et disposer d'une rigueur solide! Didier Couronne le prouve très largement dans les 250 premières pages du livre qui abordent les EMI sous différents angles: historique, neurologique, philosophique et même sociologique, se concentrant sur les perceptions véridiques qui sont au coeur des futures études prospectives, et relatant des témoignages très troublants. J'ai particulièrement aimé la façon dont les problématiques sont abordées, présentant de façon équilibrée les hypothèses matérialistes et non-matérialistes, ainsi que l'état des lieux des débats. La recherche de la vérité implique d'explorer les angles mort des uns et des autres et c'est le sens de la démarche de ce livre. A titre personnel, j'ai été assez troublé par le choix des anecdotes (comme la harpe de la fille de la psychiatre Elizabeth Lloyd Mayer, le cas d'Anita Moorjani) et des exemples choisis pour illustrer l'étrangeté du lien entre conscience et cerveau (notamment le cas des personnes souffrant de formes graves d'hydrocéphalie qui vivent tout à fait normalement avec un cerveau réduit à une fine couche de neurones posée sur les contours intérieurs du crâne) du fait que je connaissais déjà pratiquement tous les cas présentés mais que je ne les avais jusque là jamais vus présentés ensemble dans un seul ouvrage. La touche littéraire et les références ne sont évidemment pas pour me déplaire, apportant une fraîcheur qui fait souvent défaut à ce genre de littérature.

La deuxième partie du livre rédigée par Claude Berghmans est plus académique. Elle recense les différents modèles de la conscience, depuis le monisme matérialiste en vigueur, jusqu'au panpsychisme, en passant par les autres formes de monisme et les dualismes. Il est aussi question de physique quantique, mais de façon raisonnable et modérée (je suis assez allergique au recours abusif à la physique quantique dans un cadre réputé ésotérique). Enfin, c'est du côté de la parapsychologie que se tourne le psychologue pour citer des expériences d'interactions entre la conscience et le monde physique (puisque cette discipline est la seule à aborder cette question sérieusement). C'est l'occasion pour lui de remettre l'accent sur le fait que l'existence de nombre de phénomènes de conscience comme la télépathie est largement prouvée scientifiquement par des études et des méta-analyses, tout en étant paradoxalement niée sans analyse des preuves sur la base de préjugés. Le livre se termine par une question intéressante dans le cadre de l'hypothèse du panpsychisme: les intelligences artificielles ont-elles une conscience ?

Ce livre, paru en 2022, est un bébé du confinement qui offre un panorama relativement exhaustif des questions que personnellement je considère comme essentielles à la problématique des EMI. C'est un excellent travail, à la fois sérieux et abordable, tout en étant exhaustif et condensé. A tel point que c'est désormais cet ouvrage que je recommanderai à toutes les personnes qui s'intéressent aux EMI pour la première fois.