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TélescoPages

Un espace dédié à la musique, à la littérature, à la science, à la conscience, et au-delà

Adeline Fleury - Les frénétiques

Les frénétiques, dernier roman en date de l'auteure et essayiste Adeline Fleury, débute comme une version revue et corrigée de l'apparition balzacienne de Marie Arnoux dans la vie de Frédéric Moreau dans L'Education sentimentale. Sur un bateau qui la transporte d'un ancien monde vers le nouveau, Ada, une romancière quadragénaire accompagnée de Nino, son fils de dix ans, aperçoit furtivement une jeune fille élancée à la chevelure rousse et se surprend à éprouver une attirance, un désir pour une femme, tout en fugacité, pour la première fois de son existence. Ada n'a en effet connu que des hommes jusque là, elle a même été une "femme à hommes", en a usé et abusé jusqu'à plus soif, jusqu'à ce que le désir se tarisse de lui-même dans le dégoût. Chez Ada, puisque "désir et écriture [sont] intimement liés", il y a l'attente que la longue période d'abstinence auto-prescrite qu'elle vit relance chez elle le processus de création littéraire. Une manière de jeûne, de refocalisation de l'énergie sexuelle,  afin de la transmuter en énergie artistique. La jeune apparition rousse se trouve être la fille d'amis chez qui Ada est hébergée, et son prénom est Eva. Eva a une pomme à croquer, mais contrairement à l'Eve biblique, elle a plus les contours de la Lilith affranchie que de la femme soumise. Elle sait faire jouir les hommes aussi bien que les femmes. Indépendante, femme archétypale, elle concilie admirablement féminisme et féminité: c'est une sorcière moderne, au sens Mona Chollet du terme. Ada et Eva, une nouvelle Genèse qui a pour décor l'île d'Ischia, dans la baie de Naples, un petit paradis terrestre au tellurisme qui impose une urgence de vivre intensément, avec cette mort qui plane autour. Les plâtres humains de Pompéi sont dans tous les inconscients de la région. Dans cette matrice insulaire, un jeu de la séduction s'installe et l'intensité de la relation va augmentant, frôlant de nombreuses fois le stade de l'intolérable douceur. Mais comme dans tout bon récit biblique, il rôde un serpent prélude à la chute.

Les frénétiques est un livre qui arrive à créer une tension à la fois sensuelle et dramatique. Le choix du registre sémantique très sensitif y est sans doute pour beaucoup. J'ai respiré, ressenti, la chaleur estivale, le contact des peaux, le choc des coeurs. Eros en plein champ, et Thanathos en contre-champ, deux pôles qui activent la métamorphose, et génèrent le mouvement d'une frénésie qui s'intériorise. Il en est du volcan comme du désir: aucun des deux n'est jamais tout à fait éteint et l'île d'Ischia est un creuset alchimique particulièrement bien choisi pour parler d'un désir magma qui se fait pyroclastique. L'hétéronormé explose dans une écriture au corps à corps d'Ada-Adeline. Les frénétiques, un roman qui aurait pu s'appeler "La rééducation sentimentale", m'a rappelé Feu de Maria Pourchet, un roman que j'avais beaucoup aimé l'année passée, pour son intensité.

Les Frénétiques est un roman particulier dans le sens qu'il est un pur produit du premier confinement de 2020, qu'il se pose en réaction aux privations en montrant une volonté de voyage, et qu'il a été écrit en six semaines, sur l'inspiration d'un véritable voyage estival et d'une authentique émotion ressentie devant une apparition féminine comme celle d'Eva. Du temps où le covid marquait la promesse purgatorienne d'un passage de l'ancien monde au nouveau. Une urgence à raconter qui se ressent au plus profond de soi.

Adeline Fleury - Les frénétiques
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