Carole Clotis - Froissures

Froissures est le premier recueil publié de Carole Clotis, une poétesse que j'ai découverte sur les réseaux sociaux et dont les textes contemplatifs, profonds et empreints de lyrisme m'ont immédiatement touché. En 2017, quelques-uns de ses poèmes avaient été publiés dans la revue Passages qui annonçaient une suite prometteuse. C'est finalement six ans plus tard, début 2023, que ce recueil a enfin vu le jour.

Cicatrices de papier, balafres de tissu, les froissures sont les restes d'un corps à corps entre la fragilité et la brutalité, les signes extérieurs de la résilience, la marque organique de la vie qui tient encore malgré les tempêtes, et l'horizon d'une issue fatale certaine. Derrière ces froissures à l'encre se ressent plus qu'elle ne se voit la brutalité de l'homme, celui avec un h minuscule. Par les traces qu'il laisse sur l'enfant ou dans le coeur d'une femme, cet homme, c'est l'incarnation du feu destructeur. Et comment survivre à ce feu si ce n'est en plongeant ses yeux dans les yeux d'une nature qui montre l'exemple, foisonne dans les replis cachés où l'homme ne peut porter son regard ? Ou dans le chant d'une femme qui se tient droite, bras levés vers le ciel, forte de la force indicible des épis de blé qui dansent dans l'orangé, dressée et insoumise. A ce feu de mort répond le feu de vie du désir, un univers irréductible en fusion écroulé sur lui-même, tassé dans les profondeurs, bien à l'abri des regards, un feu qui se déploiera face à l'Homme et au masculin sacré.

La nature est partout dans l'écriture de Carole Clotis. C'est l'exemple, la métaphore ultime. Les générations humaines se succèdent, répétant inlassablement leur schéma de souffrance alchimique, de naissance à trépas, les vies présentes se nourrissant des vies passées d'humains emprisonnés dans leurs roues dharmiques, vies qui se sédimentent comme se sédimente l'argile de la Garonne ou le grès des collines. L'histoire de l'Homme est contenue dans la pierre; son futur, dans la boue, limon fertile. Mais le présent est la seule expérience qui vaille. Et Froissures en regorge de ces instants volés au présent quand celui-ci se fait havre de repos ou mouvement initiatique ! Les cinq sens en éveil face à la beauté du monde qui transcende tout: une chanteuse qui irradie sur un écrin de guitare, un soir de mai en quête des fantômes d'humains qui se sont émerveillés devant les mêmes paysages, des regards qui se croisent et se racontent l'espace d'un instant lors d'une fête de la tulipe... Une beauté qui n'est pas simplement celle des lieux, mais celle de la mémoire de tout ce qui s'y est joué depuis l'aube de l'humanité, une beauté méditative.

Il y a dans l'écriture romantique, naturaliste et teintée d'hermétisme de Carole Clotis quelque chose d'une quête alchimique de l'Absolu. Le feu qui fait souffrir la matière des coeurs; l'eau qui y creuse des galeries pour le faire troglodyte; l'air, vecteur de démence, de fracas et de tempêtes qui laboure les surfaces de ses flux; la matière, terre nourricière ou roche n'y résistera pas, et c'est son destin. Le recyclage perpétuel du vivant et du mort, les cycles des saisons, l'alternance du calme et de la tempête, des décompositions et des recompositions, l'amour que l'on se passe de génération en génération: tout n'est que recommencement et l'humain, une simple étoile filante.