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TélescoPages

Un espace dédié à la musique, à la littérature, à la science, à la conscience, et au-delà

Valentine Goby - L'île haute

Valentine Goby est une auteure que je suis depuis plusieurs années, depuis la sortie du magnifique et terrible Kinderzimmer qui plaçait l'action en pleine période de seconde guerre mondiale, dans les camps de concentration nazis. Aimant se plonger dans le passé pour tisser la trame de ses romans, cette période lourde de l'histoire de l'humanité semble exercer un attrait particulier pour elle tant elle est riche de situations permettant d'explorer le registre des émotions. Ainsi, un autre de ses livres, L'échappée, était également situé dans cette période, mais côté français. L'île haute, sorti en 2022, est lui aussi un roman qui prend ses racines dans le contexte de la seconde guerre mondiale avec pour trame de fond le sort réservé aux personnes de confession juive, avec la complicité de l'état français sous le régime de Vichy.

L'histoire met en scène un garçon de douze ans, Vadim Pavlevitch, "fils de Sophie, de Joseph, le frère de Jean, le petit-fils de Pierre, de Myriam, de Rachel, de Jacob", et en 1942, cette situation familiale est synonyme d'étoile jaune et de déportation. Vadim est ainsi envoyé à Vallorcine, littéralement "la vallée des Ours", dernier village avant la frontière suisse, pour officiellement y soigner son asthme, officieusement, pour être tenu éloigné de l'horreur qui se profile et envisager la possibilité de franchir la frontière. Arrivé en plein hiver et recueilli par un couple de montagnards, Blanche et Albert, le petit citadin parisien désormais porteur d'un pseudonyme de substitution bien français, Vincent Dorselles, va devoir s'adapter à cet environnement où tout est nouveau pour lui. Il y a d'abord cette langue française fortement empreinte de patois dans son accent et son vocabulaire qu'il va devoir apprendre. Il y a ces paysages enneigés qui ceinturent la vallée et qui l'émerveillent. Il y a évidemment ces parents de rechange qui l'intègrent immédiatement et dans une grand bienveillance à leur quotidien. Et il y a enfin la rudesse et la rusticité de la vie montagnarde.

Au cours des trois saisons - hiver, printemps, été - que couvre ce récit initiatique, Vincent-Vadim va connaître une relative normalité, loin du danger mais également loin de tous ses repères. L'enfant déraciné et passablement synesthésique va très vite s'adapter, et son asthme, disparaître comme par enchantement. D'enchantement, il sera question tout au long de l'histoire. L'île haute est une plongée dans une beauté à couper le souffle qui paradoxalement lui rendra le sien (de souffle) et lui permettra de vivre dans une insouciance dont il aurait été privé. Douze ans, c'est l'âge des premières émotions, des premières amours, l'âge où l'enfant se fait adulte en devenir. Très rapidement, il se fait une amie, Moinette, une petite fille de deux ans sa cadette, qui va l'accueillir avant de s'enticher de lui, lui, le petit parisien, afin de le faire accéder à cette enfance en montagne et lui permettre de réécrire sa propre histoire.

Valentine Goby arrive à particulièrement bien restituer cette insouciance qui se joue sur fond de bruit de bottes et de danger qui se rapproche insensiblement mais inexorablement. C'est presque une enfance toute en espièglerie, à la Pagnol, qui se dessine, avec ces militaires italiens dont il rêve de subtiliser la plume ornementale de leur chapeau, avec ses bagarres, ses amitiés, ses secrets et ses amours, ses personnages exceptionnels (comme Martin, ce berger aveugle, qui a une connaissance aussi complète des montagnes et des nuances de couleurs que les autres montagnards) et le caractère entier et intègre des habitants de la vallée. Et cet émerveillement qui va se traduire par une accumulation de dessins réalisés en secret, car Vincent est un artiste en herbe pour qui le dessin tient lieu d'exutoire, lui le synesthésique pour qui les mots sont associés à des couleurs.

Avec L'île hauteValentine Goby fait un travail remarquable sur la langue vallorcine. Tout y est méticuleusement nommé, le patois se mêle à un français de haute tenue et qui pourtant reste très accessible.

On reconnaît un ouvrage bien exécuté à l'invisibilité de ses coutures, à l'impression de facilité et d'évidence qui s'en dégage. L'île haute m'a donné cette impression. Je me suis plongé de façon très naturelle dans cet univers, et j'ai vécu quasiment de l'intérieur la mue de ce jeune citadin en montagnard, une mue juxtaposée à celle des paysages enneigés qui laissent peu à peu filtrer leurs nuances de vert à l'arrivée du printemps. Cette tranche d'histoire est d'une beauté simple et rustique, et je m'y suis littéralement fait prendre.

Il y a eu L'été 42. Il y aura désormais L'hiver 42.

Valentine Goby - L'île haute
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