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TélescoPages

Un espace dédié à la musique, à la littérature, à la science, à la conscience, et au-delà

Aurélien Barrau - Météorites

Aurélien Barrau est un penseur que j'apprécie particulièrement. J'aime écouter ses conférences, ses interviews. J'aime l'entendre surligner l'échec civilisationnel du capitalisme devant le public du congrès du MEDEF en puisant dans le registre sémantique de ces personnes éduquées pour retourner leurs mots choisis contre eux. J'aime l'entendre défendre l'écologie et dénoncer les absurdités consécutives à nos visions myopes et court-termistes. J'aime l'écouter m'expliquer la relativité générale en toute pédagogie, avec des références philosophiques insufflées ça et là. Aurélien Barrau est un homme qui manie le verbe avec érudition et précision, qui a cette possibilité rare de gagner un débat à la fois sur le fond et sur la forme, notamment en n'hésitant pas à interroger les questions et les impensés qui font le lit des idéologies de toutes sortes. C'est une manière de voyou, qui marche volontiers dans les pas de l'un de ses maîtres, Jean Genet. Tous ses diplômes ont été obtenus cum lauda, dans des disciplines pourtant réputées de pointe. Il est le physicien des physiciens, le philosophe des philosophes, l'écologiste des écologistes. Il est celui qui, par sa virtuosité intellectuelle, peut tout se permettre, y compris tacler avec bienveillance un Jean-Marc Jancovici pourtant réputé intouchable sur son terrain. Cette virtuosité fait de lui quelqu'un de virtuellement inatteignable.

Lorsqu'il s'essaie à l'une de ses passions, la poésie, dans son recueil Météorites, publié en 2020, cette même virtuosité joue malheureusement contre lui. La virtuosité et l'érudition sont les briques d'un mur d'hermétisme qui fait que sa poésie n'est accessible qu'à un lectorat initié à plusieurs disciplines, non seulement du fait du sens très précis des mots rares qu'il utilise et juxtapose, mais également à l'histoire antique à laquelle il emprunte des personnages, des problématiques et des emportements qui nous font certes voyager de l'Egypte à la Grèce, en passant par Rome, mais en laissant le lecteur que je suis perdu en route, dictionnaire et encyclopédies fatiguées en main. Au-delà de l'érudition, il y a aussi la forme esthétique. Aurélien Barrau tord la langue, joue des néologismes et de la licence poétique comme on joue à la façon des Caprices de Paganini. La technique est omniprésente, maîtrisée. Certes, elle impressionne, malheureusement elle ne me touche pas, et c'est avec une certaine tristesse que je l'écris tant j'apprécie son auteur. Météorites est un titre qui convient tant ce mot décrit un phénomène magnifique mais avant tout, lointain. Certes, c'est lumineux et intense, mais d'une lumière à 3°K, une lumière froide, inaccessible. Froide comme ce doré perdu au milieu du noir de la couverture minimaliste du livre.

J'ai bien essayé pourtant, en ayant d'abord tenté de soulever le voile d'Isis pour en décrypter les sens et l'essence. Mais le tissu de métal a fini par me décourager, me ramenant à l'adolescence quand je lisais Umberto Eco pour la première fois, et que je soulignais les myriades de nouveaux mots que je découvrais dans cette lecture laborieuse. Alors, j'ai lu ce recueil autrement, en me laissant bercer par la musique des mots, sans plus chercher à comprendre ou à ressentir le sens, comme on écoute une chanson dans une langue étrangère et familière à la fois. Parfois, certains poèmes se laissent appréhender et là, la magie opère. Hormis ces moments dispersés, je ne sais pas ce qui aura germé de vivant en moi par la panspermie de ce recueil météorite. Je gage qu'il n'en restera sans doute pas grand chose de marquant. Le constat est sévère: je n'ai pas le niveau pour cette poésie. Lorsqu'il évoque les vertus de la poésie, Aurélien Barrau met en avant la précision des textes et des mots. Et l'on pense à Baudelaire et son fameux "Je tiens absolument à cette virgule" apposé sur les épreuves écrites des Fleurs du Mal. De mon point de vue - qui n'est rien d'autre que mon point de vue - je trouve au contraire que la précision est une vertu de l'intellect et j'ai tendance à penser qu'il filtre la poésie, quand il ne l'éteint pas. Le vivant a besoin d'espace d'interprétation pour s'épanouir, de flou. Les mots de l'émotion sont souvent accessibles, occupent l'espace, bavent l'encre en symphonie de rimmel bon marché et de larmes.

L'esthétique peut être envisagée sous l'angle de l'émerveillement spontané ressenti devant le spectacle de la beauté. Mais elle peut aussi l'être sous l'angle des nombres, mesures et proportions. A trop rechercher le nombre d'or avec une précision de plusieurs chiffres après la virgule, ce qui transparaît, c'est la froideur. Ou peut-être est-ce simplement une question d'émotion-source ? Pour faire court, je pense que je suis passé à côté de Météorites.

Aurélien Barrau - Météorites
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