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TélescoPages

Un espace dédié à la musique, à la littérature, à la science, à la conscience, et au-delà

Fabienne Swiatly - Saïd

Une plongée dans l'univers mosellan des barres d'immeubles des années 1970, et des jeunesses issues des immigrations polonaise et algérienne. Là où l'huile confine à l'eau. La narratrice est une jeune fille à la fin de l'enfance, au père polonais laborieux et souvent absent, qui a pour grands frères des jumeaux bagarreurs, issus d'un premier mariage d'une maman dépassée par les événements, et imprégnés de racisme ordinaire. La famille vit dans une cité ouvrière sans âme, une "rangée de maisonnettes, toutes pareilles". A quelques centaines de mètres de là se tient la barre HLM en déshérence où sont logées des familles des communautés algériennes. Entre les deux, des champs terrains de jeux, un no man's land où les enfants de toutes les communautés se retrouvent et pratiquent une mixité paradoxale imprégnée des préjugés et des mots des adultes ("bicots", "bougnoules", "crouilles"...) en même temps que de la curiosité et de l'ouverture à l'autre naturelle des enfants. Le décor tout en tension est ainsi planté.

La narratrice est une petite rousse à tâches de rousseur qui un jour a l'audace de renvoyer un ballon de foot de l'autre côté de la ligne des pylônes à un garçon de l'autre communauté prénommé Saïd. De ce premier contact naîtra une belle histoire d'amitié, intense et tragique comme le sont toujours les amitiés d'enfance, une histoire renforcée par le poids de l'interdit et par le secret. La jeune fille découvrira un monde accueillant, accessible à tou.te.s, à condition de dépasser  les peurs, préjugés et caricatures racistes humiliantes.

Saïd est un petit livre sur l'empathie de la romancière et poétesse Fabienne Swiatly - quasiment une nouvelle - que j'ai lu alors que tombaient les résultats des élections législatives marquant une poussée sans précédent de l'extrême droite en France, de la parole portée d'une frange de la population qui privilégie la compartimentalisation du monde en "nous" et "eux". Cette poussée est malheureusement bien visible en Moselle, lieu où se déroule l'action de ce livre, terre d'immigration ouvrière, où vivent les descendants des Italiens, Polonais, Portugais et Maghrébins venus fournir leur force physique pour extraire le charbon. Ou quand la fiction se fait écho à la vie. Ou peut-être, inconsciemment, ai-je choisi ce livre dans une démarche bibliothérapeutique face au choc pressenti ?

Dans Saïd, j'ai un peu retrouvé l'ambiance du livre Les Ritals de Cavanna, notamment dans la description de cette vie au sein de ces quartiers populaires. Il y a également comme un parfum du magnifique L'art de perdre d'Alice Zeniter. Fabienne Swiatly imprègne ses écrits de poésie, anime des ateliers d'écriture, notamment auprès des enfants, et raconte les frontières invisibles et la diversité pour en montrer le caractère poreux et enrichissant. A l'heure de la montée de l'extrême droite, cela relève de l'engagement pédagogique, de l'acte de résistance face à la facilité de la haine. Une littérature qui propose un rapport au monde qui met l'accent sur ce qui est en commun plutôt que sur ce qui sépare. Absolument nécessaire donc!

Fabienne Swiatly - Saïd
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