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TélescoPages

Un espace dédié à la musique, à la littérature, à la science, à la conscience, et au-delà

Expériences poétiques et noétiques avec la poétesse Christine Mege

Christine Mege est une poétesse intuitive qui se définit volontiers par la médiumnité. En réalité, même si je choisis de mettre en avant cet aspect de sa personnalité, je pense qu'elle fait partie de ce petit groupe de personnes qui ne rentrent dans aucune case tant elles pourraient rentrer dans toutes. Ses textes ne sont pas encore publiés, seulement disponibles pour l'heure sur sa page Facebook Mot pour Mot, j'ai été touché par leur force et leur charge émotionnelle, mais aussi séduit par l'exubérance qui côtoie la finesse, les pieds dans une animalité assumée et la tête dans les étoiles. Mélange de matérialité et d'éthéré, son écriture tellurique et inspirée résonne et me bouleverse. On peut dire tout le mal que l'on veut des réseaux sociaux, mais ils ont pour moi un avantage, c'est qu'il est possible aux regards entraînés d'y trouver de la beauté, que ce soit sur proposition des algorithmes nouveaux maîtres du hasard ou en remontant à sa source d'ami.e en ami.e. et d'y faire de belles rencontres. Chemin faisant, Christine Mege m'a proposé de glisser ses mots dans les miens et, non sans malice, de les exploser. Comme j'ai cette tendance à dire oui avant d'y réfléchir aux propositions qui me poussent hors de ma zone de confort, j'ai immédiatement accepté. C'est ainsi que pour la circonstance, j'ai écrit ce petit poème:

Ça me parle, les sillons sur la peau qui racontent une vie, petits ruisseaux de noirceur, crues violentes et solaires
Ça me parle, le sourire qui subsiste lorsque tout le reste s’est enfui, le sourire sans le chat
Ça me parle, lorsque les mues à force de fleurir la peau ont fini par mettre l’âme à nu
Ça me parle, quand tu te prismes de cristal et que tu racontes ta lumière d’avant, ta lumière d’enfant
Ça me parle, le oui, un vrai oui, et le non qui vibre et résonne de tout le corps
Ça me parle, le hasard qui frappe à la porte: “Tu es sur ton bon chemin, continue encore”
Il y a tant de choses qui me parlent depuis que j’ai appris à écouter
Ça vient du dedans, ça vient du dehors, ça vient du vivant, ça vient de la mort
Entendeurs de voix, voyeurs de lumières, miroirs et sémaphores
Ça me parle, et ça parle si fort


Et voici que quelques jours, glissades et explosions plus tard, elle publie ce texte incroyable qui reprend l'intégralité de mes mots en leur apportant sa force, y adjoignant une peinture de Van Dongen qui vient apporter un support visuel à la rêverie.

Dans l'élan, je lui ai proposé de lui rendre la pareille et d'explorer avant de l'exploser l'un de ses textes. Elle a accepté sans hésitation. J'ai choisi Disparaître.

J'ai noyé mes larmes au fond du bassin
et trempé la feuille où j'écris ces mots.
Le grillon chantonne aux tresses du palmier
et mon cœur détonne au paradisier.

L'encre est outrenoire. Que le vent emporte
les souillures du jour !
Absente aux clepsydres qui tournent sans moi
seul me protège, le soleil -du froid.

Les ronces, à mon dos, sont matelassées.
À ma gorge, l'âpre -reflue de ces chutes.
Il n'importe plus, que la nuit devance
l'ombre, où ta parole -m'a déjà jetée.

Vrillent à ma mémoire
tes grands rires d'enfant,
ta blondeur enfuie,
-où je disparais

Avec pour seule consigne de me laisser aller à de l'écriture intuitive. Deux heures plus tard, je pose mes derniers mots entre les siens.

J’ai noyé mon feu et mes larmes au fond du bassin,
L’air libre de ne pas y toucher ne leur réussissait pas,
Oxydation, sueur, les yeux qui rouillent de ne plus rouler
Et trempé comme la feuille du palétuvier où j’écris ces mots,
Mi-air mi-eau, mi-chagrin mi-chafouin,
Emmerdant qui me dit que je n’ai pas d’utérus, d’un sourire enceint.
Le grillon chantonne aux tresses du palmier sa détresse de n’être encore pas aimé,
Se stresse de la concurrence décharnée, la nuit est son domaine, sa chasse gardée
Et mon coeur déconne à l’écouter répépier le même refrain, année après année, été après été,
Il en fait des tonnes, et quoiqu’il fasse, détonne du paradisier, le seul à être dans le Vrai.

L’encre est outrenoir, et multicolore l’iris de tes yeux retournés vers l’intérieur,
Scrutant le feu et ses larmes renversées tout au fond de mon creuset.
Que le vent emporte tes cris, peu m’importent les souillures du jour!
Dans mon bassin, le mercure s’accumule, petit soleil incrédule
Depuis mon indifférence défunte, je l’observe jaillir dans le plus franc des secrets
D’humeur absente aux clepsydres qui tournent sans moi,
Qui tuent de sang froid les amours que je voudrais majuscules,
Vestiges d’un passé où les corps ondulent,
Où après l’extase des pendus, nos bras ballants pendulent
Seul me protège le petit soleil du bassin où se réchauffent tes mains
Recouvertes d’une peau neuve que je tiens éloignée du froid.

Les ronces, plantes singes qui se coutellent à mon dos, un jour c’est sûr, donneront des mûres
Au goût d’orgeat, c’est ainsi que dans le silence absolu, la douceur est accouchée de la douleur
Aie confiance, les antichambres de la folie sont matelassées pour un amerrissage sans heurts
Mes mots durs resteront suspendus à ma gorge, jusqu’à ce que l’âpre retombe, sans un cri,
Qu’une marée de larmes et de feu reflue, faisant voile réticulaire de ces chutes
Le coeur, ça doit rester à l’intérieur
Il n’importe plus que l’amour vienne, qu’il aille donc se faire voir ailleurs à marche forcée
La déesse aux mille visages se pare désormais d’autres appâts
La mort que la nuit devance, avance masquée, éteignant les sourires, d’abord,
Et puis que se dessèchent les chairs et les corps
Dans ces plaines dévastées, l’amitié tiendra encore
Acculant l’ombre loin de mon royaume où enfin ne règne plus ta parole
Son petit soleil m’a déjà fait oublier le pire, tandis que tes vagues se brisent sur la jetée.

Les désirs qui parfois me vrillent encore le ventre se rappellent à ma mémoire
Me disent que j’ai aimé plus que de raison, que tout cela n’était qu’illusion
Vois, mon bassin s’est défait de trop de séismes, ma colonne cérébrale touchée aux lombaires
Désormais ne me manquent plus ni tes bras, ni tes grands rires d’enfant cassée
Le temps fracasse tout ce qu’il touche, les gueules d’amour à la rougeur de ta bouche
Et heureux concours, même la tristesse ne résiste pas à son grand oeuvre
On dira le moment venu que c’était comme cela que ça devait se vivre
Il n’empêche, je suis heureux de t’avoir vécue, et maintenant que ta blondeur est enfuie
Peut-être le moment est-il venu où l’on se dirait qu’on devrait en rire
Ce moment ultime du verre de l’amitié et où pour de bon de ta vie je disparais.

Quelle belle expérience venue de nulle part! J'ai été ravi (au sens premier du terme) de me laisser aller à cet épanchement nocturne. Et quel sentiment étrange que les mots venus d'une autre viennent à ce point s'entrelacer avec les miens! C'est étonnant de ressentir à quel point cela vient toucher à l'intime. Comme elle me l'a dit ensuite, tout est résonances.

Chaque jour un peu plus je découvre le pouvoir magique et transformateur des mots déposés dans l'écrin de la poésie. L'écriture est décidément une expérience à vivre. Subjective certes, mais tellement plus enrichissante et transcendante quand elle se fait intersubjective. Merci Christine pour cette plongée en mots emmêlés! Et merci à Myriam Ould-Hammouda de m'avoir mis le pied à l'étrier il y a tout juste un an!

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