22 Mai 2022
Je ne connaissais pas Laurent Gounelle en tant qu'écrivain avant d'entamer la lecture de son livre Le réveil sorti en mars 2022, et c'est vraiment par hasard que ce livre m'est tombé entre les mains. J'ai pour habitude de généralement terminer un livre que je commence et c'est je crois cette habitude qui m'a fait lire jusqu'à la dernière page. Je ne suis absolument personne pour critiquer le travail d'un auteur, très conscient de la somme de travail et d'investissement personnel que ça représente. C'est pourquoi je me contenterai de dire que, hormis à quelques reprises pour son caractère informatif, je n'ai pas aimé. Voici pour quelles raisons.
Ce roman se veut une allégorie de la société actuelle dirigée d'une main de marionnettiste par les grandes multinationales, à travers les gouvernements à la solde du grand capital qui se succèdent et qui maîtrisent toujours mieux les techniques de manipulation des masses, telles que théorisées par Edward Bernays, le père spirituel des spin-doctors, dans des livres comme "Propagande: Comment manipuler l'opinion en démocratie", This business of propaganda", "L'ingénierie du consentement: une approche scientifique des relations publiques". Bernays aura été l'un des inspirateurs de Joseph Goebbels pour ne citer que l'un de ses plus brillants élèves. L'idée de départ est de voir comment au XXIème siècle les techniques de manipulation des masses ont évolué et comment la technologie vient ajouter de multiples verrous au contrôle d'une minorité sur la majorité. Le projet est donc séduisant.
En partant d'une expérience fictive de lutte au niveau politique contre la mort, Laurent Gounelle ambitionne de revoir à la sauce littéraire en roman d'anticipation la gestion du covid 19, des Gilets Jaunes, de la reconnaissance faciale, de la surveillance de la population, des journalistes à la solde des politiques et des grands patrons, de la police de plus en plus violente, pour montrer à quel point tout ceci fait partie d'un grand plan pour mener la France tout droit vers une démocrature intégrée dans un nouvel ordre mondial dirigé par lesdits grands patrons.
Deux personnages se partagent le micro à tour de rôle, représentant chacun l'une des polarités chères aux sphères complotistes. D'un côté, il y a Tom, un jeune ingénieur anti-héros qui représente les "moutons". De l'autre, Christos, jeune Grec étudiant en philosophie et au prénom sans doute choisi pour rappeler Jésus, le berger, qui représente les "éveillés". Tom valide les politiques liberticides des gouvernements en premier lieu parce qu'elles ne le concernent pas. Christos est lucide et voit très clair dans ce qui est mis en place par le gouvernement. Je divulgâche un peu maintenant bien qu'en réalité Le réveil est tellement prévisible que le lecteur connaît la fin dès la moitié: quand Christos arrivera à convaincre son mouton d'ami des plans machiavéliques du gouvernement, et que Tom s'éveillera et commencera à se révolter contre le système, il sera trop tard: la France sera entre temps devenue orwellienne et Tom déclaré ennemi d'état. Moralité: lect.rice.eurs, défendez votre liberté dès maintenant pendant qu'il est encore temps! Au fond, ce n'est pas son sujet que je reproche à ce livre. En tant qu'informaticien intéressé par l'innovation et notamment l'intelligence artificielle, je crois qu'en effet les technologies sont de plus en plus invasives et qu'il est possible de procéder à de la surveillance massive. Je crois que les gouvernements récents n'ont plus grande légitimité électorale, sont inadaptés au monde qui vient, et qu'il y a une sorte de baroud de déshonneur pour s'accrocher aux restes du monde d'avant. Beaucoup d'éléments de ce livre me semblent relativement factuels. Non, ce que je reproche à ce livre, c'est qu'il est totalement dénué de nuance, de doute, d'humour, de second degré, de style, de psychologie pour les personnages. C'est un livre absolument manichéen, qui oblitère la complexité du monde. Presque tout y est caricatural: le personnage de Tom coche toutes les cases du mouton, le personnage de Christos a toujours raison, le gouvernement est caricaturalement machiavélique, les journalistes sont caricaturalement aux ordres de grands patrons caricaturaux.
Le registre d'écriture est très moyen ("du coup"). On pourrait parler de paresse comme l'illustre le fait de retrouver mot pour mot une blague qui a déjà fait plusieurs fois le tour des réseaux sociaux et qui a perdu tout son potentiel comique (celle de l'Américain qui recommande au pêcheur grec qui passe l'essentiel de son temps à se prélasser à la plage de pêcher plus pour doubler ses revenus pour se payer des vacances à la plage pour se prélasser). On retrouve les incrustations d'encarts d'information et la gestion du suspense à la façon d'un Bernard Werber dont je confesse que je ne suis pas un grand admirateur. Je suppose que ce livre devrait plaire à ses fans. Ainsi qu'aux adeptes de l'un ou l'autre manichéisme qui pourront se trouver un nouveau porte-drapeau.
Pour terminer sur une note positive, je reconnais une qualité à ce livre, c'est son format court: on en a vite terminé avec lui.
C'est véritablement sans le moindre a priori que j'ai commencé à lire Le Réveil et c'est désormais fort de cette lecture que je vais consciencieusement éviter les prochains livres de cet auteur. Je crois que ça s'appelle l'expérience.