5 Mai 2022
Je ne connaissais pas la poétesse Maud Thiria avant de la croiser au festival Le Livre à Metz, où elle était l’une des rares représentantes de la poésie. C’est une amie qui m’accompagnait au salon et qui est très portée par le genre, qui, après avoir acheté plusieurs recueils, m’a recommandé de me plonger dans son univers. Je la remercie de ce conseil tant ce que j’ai découvert dans ces trois recueils m’a plu et surpris.
En premier lieu, c’est une poésie non seulement des mots mais aussi de l’espace, du papier, une poésie tactile. Agrémentés d’illustrations à l’encre noire, chacun de ces recueils constitue un unique poème, exposé (ou peut-être devrais-je plutôt dire explosé) en quelques dizaines de pages, où chaque page dévoile une strophe de taille comparable à un haiku. Cette structure est fondatrice dans la sensualité qui ressort de la lecture puisqu’elle impose un rythme, tout en mettant en lumière un petit groupe de phrases où la rareté accentue le précieux de leur choix et du choix de leur forme. Littéralement, chaque strophe se déguste, se fait tourner en bouche pour en apprécier l’amertume, la douceur, ou l’âpreté. Avec la force d’un slogan mais sans le côté prescripteur de l’aphorisme. Un calendrier de l’avent qui offre un bonbon doux-amer à chaque page. Quelques mots-particules, quelques mots-lécules de poésie disposés au coeur de l’espace. Ça respire, ça impacte plus que ça ne touche, et ça interroge sur cette capacité de la poésie à offrir du fond émotionnel tout en épousant une multitude de formes.
L’un des attributs de la poésie contemporaine est la liberté. La seule contrainte qui reste est physique, c’est celle de la page. Maud Thiria joue du minimalisme dans cet espace, où tantôt les mots se mesurent au vide, tantôt ils s’y isolent ou s’y emprisonnent comme des corps étrangers, tantôt ils nous offrent une trouée lumineuse dans un monde en train de s'effondrer.
Trois recueils, trois poèmes, où l’essentiel est exprimé, par delà la structure et les contraintes du langage puisque la poésie est cet espace littéraire où tout est permis, en amont de la langue, où les mots sont en peau à peau avec les émotions, où fond et forme se confondent, la forge des mots au feu de l’enfance qui en connaît une rayon en matière de poésie.
Dans Mesure au vide, qui est son premier recueil publié en 2016, Maud Thiria interroge la poésie, en ayant recours à la poésie elle-même, toujours à l’orée du sens, décrivant le processus créatif à la manière d’une ombre furtive et fuyante dans la nuit où elle est plongée pour y puiser l’inspiration. La création comme grand-oeuvre ex-nihilo, donner chair à la fulgurance avec l’encre, celle des mots, ou celle des graphismes de Jérôme Vinçon qui ponctuent la lecture. Remplir le vide pour y porter un semblant de sens. L’écriture envisagée en apposition à la sculpture, l’œuvre qui surgit lorsque l’on creuse la pierre brute pour l’une, le vide pour l’autre. Le vide serait-il ainsi matière première ?
Dans Blockhaus, tout part d'une casemate de son enfance en Lorraine, ce lieu à la fois anxiogène et fascinant, une cachette d'enfant, un tombeau, un lieu d'aventure, où l'on joue à la guerre ou à se faire peur, où l'on va cueillir des mûres qui se font barbelés, où l'on va hanter les fantômes, sur fond de parfum d'humus et de champignons. Mais c'est aussi le premier contact rugueux avec une langue étrangère accueillie à rebours dans le vocabulaire français, un mot - bloc os - de la langue des oiseaux, qui vient en enrichir la polysémie pour en faire de la matière première poétique. Ce blockhaus est un cheval de Troie ennemi, un décor de seconde guerre mondiale devenu décor de guerre des boutons, une madeleine de Proust, et un recueil d'orfèvre des mots.
Quand la vie ne tient qu'à un souffle, celui du trop maigre filet d'air qui passe encore malgré les doigts serrés des mains étrangleuses, filet d'air insuffisant pour briser le silence d'un cri, c'est de cette trouée tant espérée que jaillit la lumière, semblable à cette vision de tunnel que certains rapportent d'un voyage aux frontières de la mort. Même si ce sont les dernières minutes d'une condamnée en aller simple vers les abysses, chaque seconde se déguste, entraînant avec elle souvenirs, associations et fulgurances jusqu'à l'orgasme du pendu. Trouée se lit le temps d'une agonie poétique. Bouleversant!
Texte intime relatant l'expérience vécue d'une forme de maltraitance du corps féminin, Trouée tente de dépasser dans le même temps, qui est un temps infini et indéfini, cette intimité pour ...