Pascal Depresle - Le cri des autres (trilogie)

Je suis entré dans l'univers de Pascal Depresle par son autobiographie J'ai trop traîné sous la pluie, qui m'a littéralement bouleversé aussi bien par la forme que par le fond. Une sacrée entrée en matière! Une prose avec une telle densité poétique était une invitation à remonter le courant pour aller à la source, c'est-à-dire à la poésie elle-même. Etant un lecteur régulier et amateur des poèmes qu'il publie à une cadence stakhanoviste sur les réseaux sociaux, j'ai décidé de me plonger dans sa trilogie poétique et autobiographique Le cri des autres (Le cri des autres - 2018, Entre bitume et champs - 2018, L'enfant des poubelles - 2019). Lire ces ouvrages en commençant par la biographie s'avère être un concours plutôt heureux de circonstances tant chacun des poèmes est fortement relié à des événements de la vie de l'auteur qui se font fil conducteur, points de repère temporels.

Les nombreux poèmes de la trilogie prennent essentiellement la forme d'une adresse d'un je à un tu, où le premier se présente dans son authenticité et son anti-héroïsme, à un (souvent une) deuxième, qui n'est pas véritablement le.a lecteur.rice mais plutôt un personnage réel ou archétypal de sa vie passée, et qui lui retourne parfois du mépris, parfois du désir, parfois de la commisération. Est-ce une forme d'esprit d'escalier poétique ? Une déclinaison de la dialectique du moi et de l'inconscient ? Une chose est certaine, Pascal Depresle transmute les gnons en or à travers une encre de sperme et de sang. La poésie est la forme que prennent sa résilience et sa résipiscence.

En privé, j'utilise volontiers l'adjectif depreslien tant la qualité d'écriture qu'il incarne vaut bien à elle seule une catégorie. « Même si c’est cru, même si c’est laid. » Depuis son univers masculin, tantôt troufion, tantôt micheton, Pascal Depresle traque obstinément la beauté qui se tapit dans la laideur, l’éthéré qui se cache dans le cru, l’éternel qui se languit dans le moisi, l’humain qui subsiste au coeur des carcasses cabossées, l’enfant qui rit encore toutes dents dehors, caché dans un adulte édenté, le vieil arbre qui persiste à pousser dans les terrains vagues et les ruelles sombres mais pas sobres, qui puise son eau dans la pisse, qui suce l’amour dans la baise. Et surtout, qui tend la main encore et toujours à ses frères et soeurs de douleur

L'amour et la mort sont les deux thématiques récurrentes de cette trilogie. Pascal Depresle est en effet marqué au fer rouge par le deuil et l'abandon, et l'enfant des poubelles qu'il a été continue de porter ses stigmates et ses stigmatisations. De ses plaies ouvertes et purulentes sur une chair à vif s'écoule cette poésie qui fait mal, qui heurte et caresse à la fois. Ces poèmes tutoyés font de nous des lecteur.rice.s rudoyé.e.s, envoyés au tapis par la douceur du point dans la gueule, par la fermeté des poings de suspension, par le choc frontal de cette plume au contours si masculins.

Dedans, l'amour, résolument impermanent. Dehors, la mort qui veille. Dedans les gonocoques qui peuplent le chaud et l'humide. Dehors, le sang qui finit de se coaguler dans le sable et qui n'a rien à foutre là (ou est-ce le foutre qui est chargé de sang ?). Le danger est permanent, dans l'amour comme dans la mort, dedans comme dehors, et il n'est pas de hasard si ces deux termes sont si étrangement liés par la sonorité sororité.

Le cri des autres est un recueil de gonades dégoupillées d’un poète en PTSD, dont les éclats de shrapnel laissent en PLS, d'un homme qui ne se place pas du côté de l'absinthe mais de la gnole, d'un survivant qui n'a plus peur parce qu'il n'y a plus rien à perdre. La légèreté fait malgré tout quelques apparitions au sein des parenthèses rurales et contemplatives de Entre bitume et Champs et c'est peu dire qu'elle fait du bien au lecteur empathique que je suis. Je cherchais de la poésie ? J'en ai pris plein la gueule!