5 Mars 2022
Myriam Ould-Hamouda est une poétesse dont les mots sont des rayons X qui arrivent à franchir l’épaisseur de mon cuir jusqu’à l’os. Je la connais au travers des ateliers d’écriture auxquels je participe avec elle depuis le mois de juillet 2021, je sais sa bienveillance. Et pour ces raisons, je voulais que le tout premier entretien dans le cadre de TéléscoPages soit avec elle. Myriam a très gentiment accepté d’essuyer les plâtres et de répondre mi-janvier à mes questions.
TélescoPages: Pourriez-vous décrire votre parcours, l’enfant que vous étiez et ce qui fait que vous êtes la personne que vous êtes aujourd’hui ?
Myriam Ould-Hamouda: J’ai le sentiment inversé qu’enfant je n’étais pas vraiment enfant, et que je travaille à le devenir, façon Benjamin Button. Ça rejoint le travail d’écriture qui est de retrouver la fraîcheur et la simplicité. L’écriture et le théâtre sont peut-être les outils pour tendre la main à la môme en moi et lui donner enfin la parole. La volonté de mettre en mots a quelque chose de thérapeutique.
TP: Ce qui point dans vos poèmes, c’est cette capacité d’empathie et d’écoute énormes. Ça transparaît dans Scènes d’intérieur sans vis-à-vis, vous absorbez ce que la plupart des gens ne voient pas, vous souffrez avec, ce qui me laisse penser que vous avez eu un parcours de vie difficile, que vous êtes un peu cabossée, que vous avez survécu à vos blessures au point que vous arrivez à transcender cette souffrance pour en restituer quelque chose de beau.
MOH: Je ne sais pas si on peut voir les choses de façon aussi figée, la souffrance qui entraîne la résilience. Je crois que l’on fonctionne par cycles. Tout au long de la vie, on traverse des épreuves, pour autant, on ne se débarrasse pas de la souffrance comme ça pour ne faire que du positif. On vit ce que l’on a à vivre comme on peut et on voit après ce que l’on peut en faire. Se mettre dans la tête de l’autre, si l’on part du principe que le monde autour de nous est un miroir de nous-même, c’est essayer de voir chez l’autre ce qui fait écho en nous et que l’on n’a pas perçu. Au fond, l’empathie est peut-être une forme d’égoïsme.
TP: Comment vous est venue l’idée d’en faire de la poésie ?
MOH: Ce n’est pas une idée, c’est un besoin. Au-delà des petites histoires que je racontais enfant, dès 16-17 ans, l’écriture était devenue une question de vie ou de mort. Cela vient comme des pulsions et par périodes. Rien n’est jamais figé. Il y a des moments où ça vient moins et où l’angoisse de ne plus y arriver fait que l’on s’impose une certaine discipline pour renouer avec l’écriture. Mais ça part d’un besoin plus que d’une envie je pense.
TP: Est-ce que vous pourriez décrire l’avénement d’un poème ? De quoi est-ce que ça part ? Comment se cristallise la première phrase et comment se déroule la suite ?
MOH: J’aime bien quand on me force à me poser des questions (rires)! Si je réponds comme ça sans trop réfléchir, je me dis qu’il y a plein de conversations que l’on a qui ne sont pas de vraies conversations avec l’autre, que chacun expose une idée qu’il se fait de quelque chose, que ce sont des monologues qui se font face, qui ne sont pas animés par une envie de changer d’avis ou de s’enrichir. A l’époque où je ne parlais pas beaucoup, j’avais beaucoup de débats en moi-même, avec le oui, le non, le pour, le contre, face à des questions auxquelles je n’arrivais pas à répondre. Et l’écriture me permettait de tenter une approche, pas d’obtenir une réponse mais juste de suivre une piste. Je pose parfois la première phrase pour voir où cela me mène quand je déroule le fil. D’autres fois, c’est une idée générale qui vient et je tente une porte d’entrée. Mais je ne sais pas vraiment dire comment. Je ne pose pas normalement de plan général, et s’il y en a un, il se perd en cours de route.
TP: C’est plutôt de l’écriture instinctive ?
MOH: Oui, et j’essaie de rester dans cet instinct parce que lorsque je pense trop à la forme, que je compte le nombre de lignes, j’ai tendance à perdre le fil.
TP: Pourquoi ce choix de la forme poétique quand il existe plein d’autres façons de s’exprimer à l’écrit ? Qu’est-ce que cette forme a de plus que les autres ?
MOH: Je n’ai pas fait que de la poésie dans ma petite vie. Il y a eu une période où j’écrivais des micro-nouvelles. Mais c’est toujours un format assez court parce que je veux traiter une question dans le mouvement et que j’ai du mal à m’inscrire dans le temps long. Peut-être que ça viendra. Il y a eu d’autres moments où ça prenait plus la forme de la réflexion. Dans les formes non poétiques plus traditionnelles, je crois que j’aurais plus l’impression de me livrer. La forme poétique permet à la fois d’exprimer ce que l’on veut dire et de laisser l’interprétation la plus libre possible pour que le lecteur puisse se l’approprier davantage parce que c’est plus ouvert.
TP: On dit que l’on est ce que l’on mange, est-ce que votre poésie a été très influencée par des lectures que vous avez eues enfant ou adulte ? Quelles sont vos influences, vos inspirations, vos muses ?
MOH: Je suis quelqu’un de sensible et parfois, certaines lectures me parlent vraiment, résonnent, et il est possible que j’en sois imprégnée et que ça ressorte sans que l’on ne s’en rende compte. Tant que l’on ne s’isole pas, que l’on ne vit pas à l’extérieur de la société, on n’est vierge de rien. Au niveau des lectures, je n’ai jamais trouvé de nourriture dans ce que l’on me donnait à lire à l’école. Le premier vrai élan est venu du recueil de Prévert “Paroles”, et de la découverte de la poésie libre. C’est ce qui m’a fait prendre conscience que la vie était pleine de possibles et que c’était à nous d’inventer. Actuellement, je viens un peu plus à la lecture poétique d’auteurs connus et contemporains. Je m’ouvre aussi sur la spiritualité et la science, autour de l’univers. Cela nourrit aussi l’écriture.
TP: C’est peut-être pour ça que votre écriture me parle autant. Je trouve que la poésie est une porte d’entrée vers cet instinct en soi qui s’exprime à l’aide de symboles plus qu’à travers la description factuelle et réaliste des choses. Dans Scènes d’intérieur sans vis-à-vis, chaque personnage vit une transformation intérieure, c’est littéralement le processus de prise de conscience qui est mis en avant, un bilan de vie suivi d’une envie de changement qui va peut-être mener à un processus de transformation que l’on qualifie de ce gros mot de développement personnel. L’individuation est un concept très puissant. Devenir qui l’on est vraiment. Et quand vous donnez de plus en plus de voix à votre enfant intérieur, à la Benjamin Button, cet enfant qui a toujours été là et qui au fond en sait plus sur vous que quiconque, on retrouve en effet cette notion de “higher self” (soi supérieur) à laquelle la spiritualité fait la part belle. Il me semble que votre poésie résonne particulièrement chez les personnes qui sont en cours de transformation intérieure. Est-ce que vous pourriez nous parler de votre propre transformation intérieure ?
MOH: Les poèmes de Scènes d’intérieur sans vis-à-vis sont très clairement des tranches de vie, des états des lieux de dysfonctionnements, des portes ouvertes, des choix possibles: celui de continuer comme ça, ou bien celui de changer. On peut avoir conscience de plein de choses sans agir. Le fait de se complaire dans son malheur est une problématique qui m’a longtemps posé question. Cela devient une habitude rassurante parce que c’est du connu. Le saut dans le vide fait un peu fliper, même s’il y a la promesse d’un monde intérieur plus beau. Pour ma part, j’ai besoin d’un gros temps de digestion et de fatigue pour me libérer des choses. Par rapport à cette ouverture spirituelle, j'ai longtemps posé un non ferme face à la religion telle qu'elle est proposée, notamment en lien avec des injonctions, de ce qu'il faut faire, ne pas faire. Et il y a le lien que l'on peut faire entre les religions et les guerres, où les dogmes sont sources de conflits. Lorsque j'étais adolescente, je me définissais comme athée, comme quelqu’un qui ne croit en rien. J’étais en colère contre la religion parce qu'elle incarne ce qui sépare les gens. Mais depuis, plusieurs expériences intimes m'ont apporté un autre regard sur la spiritualité et je renoue petit à petit avec ça. Je me dis que la poésie est peut-être une tentative de mettre des mots sur une sensation, une émotion.
TP: Cela rappelle les expériences de mort imminente, où les expérienceurs reviennent avec des impressions qu’ils décrivent comme indescriptibles avec des mots, avec des couleurs ou des sons qui n’existent pas. On utilise l’adjectif ineffable pour décrire ce type d’expérience et je crois assez que la poésie est une tentative d’approcher l’ineffable par le symbolique. C’est pour cela qu’elle touche de façon si puissante, qu’elle transforme et qu’elle est thérapeutique. Aussi bien pour celui qui écrit que pour celui qui lit. Même si chacun est libre d’interpréter un poème comme il le souhaite, le symbole parle profondément à notre conscience et agit.
Je voudrais maintenant aborder les ateliers d’écriture que vous organisez. Qu’est-ce qui vous motive dans ce partage ?
MOH: C’est à la fois récent et pas récent. J’organisais déjà des ateliers d’écriture dans le cadre de mon ancien boulot. Mon idée depuis deux ans est d’essayer de trouver une façon de vivre de ce que j’aime et de faire du travail une joie parce que je pense que travailler doit être ça. L’écriture solitaire ne suffit pas parce qu’elle se nourrit du rapport aux autres. Autrement on reste face à ses propres certitudes qui ne trouvent pas d’écho. Les ateliers d’écriture et le spectacle vivant sont les façons que j’ai trouvées de résoudre ces problèmes. Les ateliers me permettent de partager ce qui me touche moi, dans le moment. Et il y a cette réciprocité qui fait que je reçois beaucoup de ces temps de partage. Les participants et l’animateur sont des humains au même niveau, qui partagent des moments et des regards sur la proposition du jour.
TP: Quelle est la place de la poésie en 2022 dans le monde ?
MOH: De mon point de vue forcément biaisé - quand on a de l’intérêt pour quelque chose, on le remarque plus - et avec les réseaux sociaux qui te suivent à la trace, j’ai l’impression de ne voir plus que ça. Je suis plutôt optimiste. Je vois passer beaucoup de choses, je vois naître beaucoup d’ateliers d’écriture. Peut-être que ça se développe de plus en plus, comme une approche de développement personnel. Peut-être qu’avec le confinement, les gens ont pris le temps de se recentrer et de s’intéresser à la direction qu’ils veulent prendre. Et l’écriture est un outil comme un autre pour se retrouver, faire le point et être en relation avec l’autre.
TP: Quelle est la direction que vous voulez prendre pour la suite ?
MOH: J’ai envie de continuer les ateliers pour voir où cela mène. J’aimerais bien développer le côté spectacle que j’aimerais faire tourner et vivre. Et j’ai en ce moment beaucoup de poèmes sur la thématique de la quête de soi, parce que ça fait partie de ma démarche personnelle. Le fait d’être en auto-entreprise est un accélérateur de questions que l’on ne s’était jamais posées et qui fait prendre conscience qu’il y a des choses qui ne sont pas si réglées que ça. J’aimerais faire une résidence d’écriture pour légitimer les choix que je fais, la position de l’auteure. C’est une formule qui me plaît assez: il y a un temps dédié à l’écriture sur ton projet qui doit résonner avec une thématique globale et un temps de rencontres et de médiation avec le public. C’est quelque chose qui me parle beaucoup.
TP: Comment envisagez-vous la poésie en tant que spectacle vivant ? Vous avez mentionné le théâtre.
MOH: J’ai un peu déserté le théâtre, je faisais partie d’une troupe amateur qui m’a beaucoup apporté mais ça ne fait plus partie de mes envies du moment. L’idée est plutôt de mettre la poésie en voix et en images sur les lectures audiovisuelles nées au courant de l’été dernier. Elles ont déjà été jouées en Auvergne et en Occitanie avec un artiste visuel sur des bandes son, mais on essaie de travailler avec les musiciens sur une forme vivante. On répond à des appels à projets pour avoir un accompagnement parce qu’il y a plein d’aspects du spectacle vivant que je ne maîtrise pas bien. Je suis beaucoup dans une envie de faire les choses comme je veux, mais je souhaite m’entourer de gens qui sont du milieu et qui s’inscrivent dans une démarche assez proche.
Les lectures audiovisuelles