Je viens à l'instant de terminer Rêver debout et déjà je suis impatient de partager mon enthousiasme! Tout au long de cet ouvrage dédié aux aventures de Don Quichotte, Lydie Salvayre réhabilite l'errance, réservée désormais aux seuls animaux perdus et aux fous, en en faisant une suite de pérégrinations quasi aléatoires d'un électron libéré des contingences terrestres, dont la mission de vie est de voir le monde entre les lignes, avec un regard d'enfant, de craqueler la couche de laideur pour en faire saigner le beau, de trancher l'incurie ordinaire pour en extraire le juste et le vrai, de se départir du relatif pour renouer avec l'absolu. Considéré comme un fou par ses contemporains de papier, et présenté comme tel par son créateur Cervantes, le personnage de Don Quichotte est ici défendu avec ardeur par Lydie Salvayre qui s'est fait comme mission de rendre hommage à cet idéal de noblesse qui fait de toute personne tentant de lui ressembler un inadapté à la société de son temps. Don Quichotte applique en effet au monde matériel des principes tout droits venus du ciel. C'est un illuminé à tous les sens du terme. L'Inde aurait pu faire de lui un saint, l'Espagne de l'Inquisition en a fait un paria. Il est l'incarnation parfaite du Fool on the Hill des Beatles, une sorte d'Antonin Artaud éternel. Les plus grands génies littéraires ne s'y sont pas trompés, considèrant Don Quichotte comme le chef-oeuvre parmi les chefs d'oeuvres, très en avance sur son temps et même sur notre époque car c'est l'un des avantages d'avoir accès à l'absolu: le génie ne s'embarrasse pas de la flèche du temps. En 2021, il est plus que temps que le monde réalise la portée de son message.
C'est un travail d'orfèvre en ce sens que nous livre Lydie Salvayre avec Rêver debout, un exercice de style de haute volée qui n'est pas sans rappeler l'un de ses précédents ouvrages: Hymne (tout entier dédié à la force symbolique des notes de guitare jouées par Jimi Hendrix à Woodstock interprétant ou plutôt déconstruisant l'hymne américain). L'auteure envisage Don Quichotte comme un Mont Fuji dont il lui faudrait offrir cent vues pour en extraire une infime partie du majestueux. C'est un livre virtuose qui se déguste comme un morceau de John Coltrane, toute technique oubliée, aux antipodes de l'Oulipo, plus modal que tonal, qui n'offre pas d'autre résolution qu'un crescendo bouquet final façon Boléro de Ravel en forme de coups de poings à notre société et à ses dirigeants, un plaidoyer d'avocate de la défense qui présente le monde actuel comme une déclinaison de la société rigide et religieuse de ce début de XVIIème siècle qui a vu naître l'oeuvre majeure de Cervantes. Et qui a cruellement besoin de nouveaux Don Quichotte, plus divins que les dieux médiocres des religieux de toutes obédiences, plus libres parce qu'affranchis des jugements extérieurs, avec leur regard clair d'adultes ayant conservé intacte leur conscience d'enfant pour seule richesse.
Sous couvert de rédemption d'un personnage non pas ridicule, mais ridiculisé, ce sont les Inquisitions contemporaines qui sont visées, en leurs incarnations multiples, avec le rappel qu'il est sain d'être inadapté à une société malade de ses valeurs matérielles. Retour du ridicule à l'envoyeur. Merci Lydie Salvayre de nous offrir la possibilité d'une telle prise de conscience!
" Pourquoi, Monsieur, expliquez-moi pourquoi, vous moquez-vous de votre Quichotte lorsqu'il ne s'accommode pas de ce qu'on appelle, pour aller vite, la réalité ? " Une femme d'aujourd'hui interpelle