Le dernier livre de Céline Lapertot m'a été chaleureusement recommandé par une amie. Je ne connaissais pas encore cette auteure, jeune enseignante quand elle n'écrit pas, et comme je suis bon client de l'enthousiasme communicatif de mes ami.e.s au goût prononcé pour la littérature, je me suis lancé dans Ce qu'il nous faut de remords et d'espérance.
Ce roman de légère anticipation parle d'une société française en recul vis à vis de ses valeurs humanistes, avec notamment en ligne de mire le retour de la peine de mort, sur fond de frères ennemis, revisitant au passage le mythe d'Abel et Caïn. Tout part d'une faute originelle, celle du père absent qui, le jour du dixième anniversaire de son fils unique, lui offre un petit frère adultérin, après la mort de sa mère. Cette faute sera en partie rachetée par sa femme qui adopte sans broncher cet enfant d'une autre couche, mais l'enfant unique devenu aîné par la force des choses n'acceptera jamais cette pièce surnuméraire encombrante. De ce cadeau empoisonné naîtra une rage qui ne quittera plus Roger Leroy (le roi, le légitime ?), une rage d'abord dirigée comme son imposteur de demi-frère, Nicolas Lempereur (l'empereur, celui qui conquiert les royaumes des autres ?), puis qui s'incarnera dans un projet de loi visant à rétablir la peine de mort lorsqu'il deviendra homme politique et finalement Garde des Sceaux. La verve du tribun Grégoire Maréchal (le soldat au summum de la gloire) n'y pourra rien, la pression populaire et l'émotionnel des réseaux sociaux suite au viol et au meurtre d'une petite fille feront opportunistement passer cette loi. Lalbenc, le tueur pédophile en question, sera le premier à connaître la furtive sensation de froid de la lame de la guillotine sur sa nuque.
Par le truchement d'un concours de circonstances qui relève du destin biblique, celui que l'on écrit avec un D majuscule, Nicolas Lempereur, devenu figure montante de la scène des musiques actuelles se retrouvera accusé du meurtre de la chanteuse Ophélia King (encore de la royauté dans ce choix de patronymes) avec qui il venait d'avoir une relation. Il tombera ainsi sous le coup de cette loi proposée par son frère, lequel va dès lors passer par la joie de la possibilité d'une vengeance mais aussi par les affres de la possibilité du remords et de la repentance. Lorsque Vanessa Kiralynö (reine en hongrois, décidément ce choix de noms) est à son tour assassinée, c'est la loi elle-même qui sera condamnée à mort.
Quoi de plus puissant que de faire appel aux archétypes les plus anciens pour traiter sérieusement d'un sujet de société en train de revenir au goût du jour dans une société qui se morcelle et se clive ? Quand l'exigence avec les autres et l'indulgence avec soi-même se généralise dans les communautés, quand le principe du bouc émissaire se répand, quand le sang versé par décision de justice est de nouveau envisagé comme un moyen valable de calmer la vindicte populaire attisée par les technologies de l'émotionnel et de l'immédiat, et d'étancher la vengeance par catharsis, alors l'histoire se replonge dans le sombre. La période Badinter n'aura été qu'une parenthèse d'humanité au sein d'une histoire gorgée de barbarie dystopique. Heureusement, tout ceci n'est qu'un livre de la rentrée littéraire 2021 (! ou ?)
A noter au passage de belles fulgurances littéraires, je confirme, l'auteure a beaucoup de talent.