Deux nouvelles de Léon Tolstoï (Le cheval / Albert) qui abordent les thèmes de la vieillesse, de la différence et de la vocation contrariée.
Le cheval est un hongre moqué par ses pairs équins parce qu'il est vieux et rejeté par les hommes en raison de sa robe pie. En dépit d'une nature exceptionnelle qui dans sa jeunesse faisait de lui le cheval le plus rapide de son temps, il sera vendu pour des clopinettes, passera de propriétaire en propriétaire, et passera complètement à côté de ce que le destin avait à lui offrir. Une métaphore évidente du racisme mais plus largement des plafonds de verre coupant qui existent quand on ne porte pas les signes extérieurs des privilégiés du moment (couleur de peau, origine, religion, genre, âge, poids...). Avec un beau passage sur l'animal pensant et sentient considéré comme un bien, un Tolstoï très en avance sur son temps.
Albert est un vieil homme qui lors d'une soirée se révèle de façon surprenante être un violoniste de génie, qui arrive à toucher tout le monde au coeur. Etant jeune, il est tombé amoureux d'une aristocrate hors de sa classe et a perdu la place de second violon qu'il occupait dans son orchestre pour cette raison. Cet amour contrarié va tourner à l'obsession et à la fuite dans l'alcool, faisant passer complètement au second plan ce don de la nature. Le prodige vivra une vie de cloche et passera à côté de la seconde chance qui lui est offerte, le sevrage d'alcool lui étant insupportable. A noter une scène finale qui a tous les atours d'une expérience de mort imminente.
J'ai été touché par ces deux histoires de destins contrariés, superbement écrites dans le style de l'époque. Si le personnage du cheval éprouvent quelques regrets, ce n'est pas le cas du violoniste qui n'avait en projet que l'amour. Au fond, est-ce qu'un don a vocation à être utilisé pour qu'une vie soit considérée comme réussie ?